• Chapitre 14: Le tableau et le prisonnier

    artefact, bibliotheque

      

    Il fait nuit noire à l'ambassade Nord mais la jeune Damia ne dort pas  !

    Petites érrance dans les couloirs, à la lumière d'une lampe torche. Mais, chut ! Un prisonnier en fuite rode...

    L'étrange tableau, la légende de Saïs et Feryn, la bibliothèque et le dragon !

    Bonne lecture...

     

        Si la réputation de chercheur obstiné de Loukas n’était plus à prouver, celle de Damia Eiquem suivait la même voie.

     Le père de la jeune fille n’était pas humain mais natif d’un affleurement éloigné, verdoyant et sans nuit. Le peuple auquel il appartenait avait pour principales caractéristiques de ne pas dormir. Ce processus leur était gène, elle était une « sans sommeil ». La nuit lui semblait souvent horriblement longue et même si parfois, Ida ou bien Sey lui tenait compagnie elle préférait généralement lire. 

         Bien sûr, il existait bien d’autres créatures nocturnes dans l’ambassade mais sa mère lui avait interdit de les fréquenter tout comme de se balader seule après le couché du soleil.

        C’était une nuit sans lune, silencieuse et morose. Damia dont l’obéissance n’était pas la qualité première décida tout de même de faire un tour à la bibliothèque des S.A.U vérifier certaines choses qui avaient attirées son attention. Elle n’en n’était pas à sa première escapade, munie d’une lampe torche, elle sortit sans bruit de l’appartement qu’elle partageait avec sa mère et Sey.

        La jeune fille balayait les couloirs du faisceau de sa lampe, éclairait les tableaux, les miroirs les sculptures qui n’étaient jamais tout à fait les même la nuit, le faisceau lumineux éclairait des détails au hasard et leur donnait une tout autre signification. Damia ralentit sensiblement sans se faire trop remarquer pour observer l’un des tableaux qui avait piqué son intérêt. Elle s’était souvenue de cette peinture il y avait quelques jours mais n’avait pu venir sur place avant ce soir. C’était une oeuvre accrochée bien trop haut pour qu’on lui prête vraiment attention, mais un jour où elle suivait sa classe dans une ennuyeuse visite guidée et que son regard flottant dans le vague cherchait à s’attarder sur tout autre chose susceptible d’alléger l’interminable cours d’histoire, elle avait repéré cette peinture. Elle n’avait hésité à poser la question au professeur et n’en n’avait récolté que mépris, la vieille bique radoteuse n’éprouvait que du dédain pour ce qui ne se trouvait pas dans ses manuels. Mais quelque chose dans la composition ou le sujet représenté avait marqué l’inconscient de Damia pour ressurgir soudainement aujourd’hui.

        La toile était toujours au même endroit, le faisceau de la lampe éclaira un cadre doré de trois mètres par cinq, sculpté de motifs abstraits et habillant une toile très ancienne que l’on avait, semble-t-il, oublier de restaurer depuis longtemps. Le faisceau mit en lumière un visage qui glaça le sang de la jeune fille et confirma ses doutes. Un sourire radieux, une fossette, des yeux clairs, un joli visage encadré de cheveux vermeils, une femme debout aux côtés d’une autre personne inidentifiable car la toile était trop abîmée. On ne distinguait rien d’autre que ce visage, même les habits avaient fini par se fondre en une simple silhouette sombre et floue.

        L’expression de la femme représentée était étrange quand on s’y attardait, il y avait quelque chose qui indiquait qu’elle n’était pas humaine sans qu’il soit possible de dire quoi. Elle semblait heureuse, souriait, mais dans ses yeux on lisait clairement une menace, cette femme était dangereuse.

        Cette femme ressemblait à s’y méprendre à celle qui les avait aidé, elle, Sey et Loukas, à gagner l’Anachron. C’était exactement les mêmes yeux, les mêmes cheveux flamboyants. Damia dirigea le faisceau sur les bords du cadre et mit en relief une minuscule plaque dorée avec les initiales F.E.E. C’était une œuvre trop ancienne, cette femme ne pouvait être celle à qui Damia pensait mais elle en déduisit qu’elles devaient être liées. A cause de l’écart de date personne n’avait du y prêter attention. Elle éclaira encore le visage et se haussa sur la pointe des pieds avant de renoncer, ce tableau lui donnait des frissons et puis elle ne souhaitait pas attirer l’attention de la vidéo surveillance. Damia se mit à fredonner doucement pour se rassurer et se remit en route, dans la bibliothèque les œuvres d’art étaient répertoriées peut-être en apprendrait elle d’avantage sur cette étrange peinture.

        Les tableaux et les miroirs se raréfièrent au profit de plantes vertes qui convergeaient toutes vers une immense porte de bois, bleu sombre marquant l’entrée de la gigantesque librairie de l’ambassade.

        La porte était grande ouverte, sur le hall central et ses immenses et interminables rayonnages. La jeune fille les connaissait sur le bout des doigts, elle se dirigea d’abord vers le registre des œuvres installées à l’ambassade. Elle trouva sans mal une reproduction réduite de l’originale avec, en-dessous, quelques lignes sur les dimensions et la date d’acquisition. Damia su qu’elle ne se trompait pas, cette œuvre n’avait pas retenue son attention pour rien, le tableau avait été ramené par Khyyl lui-même et qu’il en avait fait don par la suite au musée de l’ambassade. La femme n’avait pas été identifiée mais quelques hypothèses supposaient que les lettres F.E.E signifiait Feryn Elyha d’Elsayaën, les plus audacieux se risquaient même à dire que la personne peinte à ses côtés et aujourd’hui effacée était Saïs Kaïlhann. S’en suivait un bref rappel de la légende s’y rattachant : Feryn fille du roi d’Elsayaën, douce et généreuse altesse fiancée au sage et valeureux Talën : Saïs Kaïlhann, essayant tout deux de sauver la cité d’Eïae. Damia ignorait à quoi pouvait avoir ressemblé Saïs mais Feryn ne semblait pas être une douce altesse sur le portrait.

        Cette légende édulcorée la fit sourire, un jour qu’elle était enfant et que sa mère lui racontait ce compte de fée, Lou s’était moqué d’elles. Il avait dit que Feryn et Saïs n’étaient pas fiancés mais mariés, que Feryn était une guérisseuse tout comme Saïs, qu’ils n’avaient jamais voulu sauver Eïae mais qu’au contraire ils l’avaient détruite, que le roi d’Elsayaën était fou à lier et d’autres choses encore qu’elle n’avait pas bien comprise du fait de son jeune âge mais qui avait provoqué les foudres d’Ida.

        C’est pourtant cette version qu’elle préférait et si la femme sur le portrait était Feryn cela ne donnait que plus de poids à la version de Lou. Au fond, tout ce qu’ils avaient pu regrouper comme informations sur Eïae depuis deux cents ans restait assez flou. La seule certitude qu’ils pouvaient avoir était que la cité avait été détruite et les divers mondes et univers séparés. Le reste n’était que pure hypothèse...

        Damia était si absorbée par tout ça qu’elle ne vit pas l’ombre silencieuse qui se faufilait dans son dos. Elle refermait l’ouvrage quand il lui sembla entendre une voix magnifique et grave qui s’élevait dans une langue qu’elle n’avait jamais entendu mais qui l’ébranla jusqu’au plus profond de son être. Damia ne comprenait pas le Talën et pour cause : il fallait une corde vocale de plus pour le parler et pour le comprendre, une ouïe sensible aux ultrasons. Pourtant elle l’entendait avec émerveillement, il lui sembla même sentir le sens de ces paroles, les ressentir. Il y avait de la de la mélancolie, puis et soudain de la peur, de la colère. Damia se sentit envahie d’une grande détresse, sa gorge se serra. Elle eut envie de crier mais une large main la bâillonna.

        — Chut, ne faites pas de bruit, c’est moi.

        La large main libera prudemment ses lèvres.

        — Sey... soupira-t-elle exaspérée par le côté nounou de l’assistant de sa mère mais soulagée que ce ne soit et pas l’un des vigiles.

        — Chut... répéta-t-il en désignant la porte des archives un peu plus loin. 

        De la lumière filtrait sous la porte, coupée par moment par des ombres. Sey la tenait toujours par une épaule histoire de s’assurer qu’elle n’allait pas faire une bêtise. Lui-même faisait des choses étranges parfois. On ne le remarquait pas, on ne l’entendait pas, il était si discret qu’on finissait par l’oublier mais il était toujours là au bon moment.

        — Il a du s’échapper, ils l’ont enfermé là en attendant de pouvoir le transporter, dit-il.

        — Qui ?

        — Un dragon. Ce n’est pas pour ça que vous êtes ici ?

        — Un d... !

        — Silence, ordonna Sey en la bâillonnant pour étouffer son cri. 

        Les ombres derrière la porte s’immobilisèrent, Sey l’obligea à s’accroupir. Ils ne pouvaient pas rester ici. La porte s’entrebâilla. Ils s’aplatirent au sol. Deux personnes sortirent de la pièce des archives : Joseï et un militaire.

        — Nous avons frôlé l’incident diplomatique, s’indignait le premier. Vous imaginez ce qui pourrait se passer si les Talëns apprenaient son existence ?

        — Quelqu’un a laissé sa porte ouverte et a drogué les gardiens, répondit le militaire. Cela fait trois jours qu’il est très nerveux, jamais nous ne l’avons vu ainsi.

        — Encore un coup de cette fille.

        — Mais c’est étonnant qu’elle n’ait rien fait exploser ici, ce n’est pas dans ses habitudes ! Je crois qu’elle n’est pour rien dans la fugue de notre prisonnier.

        — Le sédatif fera bientôt effet, nous devons le transporter dans la nuit si nous ne voulons pas qu’il soit repéré.

        — Permettez, Monsieur. Mais c’est une créature dangereuse, bien moins civilisée que Arkhel Kaïlhann. Vous ne pourrez pas le dresser. Je suggère que ...

        — Nous verrons. Faites ce que je vous ai demandé et gardez vos suggestions pour vous.

        — Bien, Monsieur. Pardon, Monsieur.

        Les deux hommes sortirent, un troisième devait probablement monter la garde à l’intérieur. Damia et Sey attendirent un bon moment encore après le départ des deux hommes.

        — Ils dressent un dragon ? s’indigna la jeune fille.

        — Votre mère va être très en colère que vous vous soyez trouvée ici.

        — Tu ne lui diras rien, pas vrai Sey ? l’implora-t-elle.

        — Ça l’inquiéterait inutilement, mais vous devez me promettre de ne plus sortir la nuit. Ida ne supporterait pas qu’il vous arrive quelque chose.

        — Je promets, mais je veux voir le dragon. Il faut le libérer ce soir, s’empressa-t-elle de négocier.

        — Vous les avez entendu ? Il est plus dangereux qu’Arkhel Kaïlhann. Nous partons. 

        — Nous avons vu le seigneur Kaïlhann, il n’a pas l’air du monstre que l’on dit.

        — Vous êtes loin de tout savoir à son sujet. Je peux vous assurer que c’est un obscur personnage.

        — Comme nous tous, Sey. Je suis sure que nous n’avons rien à craindre !

        — Nous ne ferons rien ce soir, partons.

        — Non.

        — Damia, je vous promets de faire mon maximum pour libérer ce dragon. Vous entendez ? Vous avez ma parole et vous savez que vous pouvez me faire confiance ! Qui croyez-vous qui l’ai aidé à s’échapper ?

        — Mais, Sey tu ne l’entends pas ? Il souffre.

        — Non, je ne l’entends pas. Inutile d’essayer de gagner du temps, nous devons partir.

        — C’est comme une plainte. Ils ont du le battre ! Il est blessé.

        Lui n’entendait rien du tout et pourtant il était réputé pour avoir l’ouïe très fine. Sey comprit et la regarda tout à coup avec stupeur, il existait des exceptions à la règle, certaines personnes, sans être Talënes, entendaient cette langue et la comprenait. Sey força Damia à le suivre, il fallait à tout prix qu’il l’éloigne de ce dragon.

        — Suis-je la seule à l’entendre ? demanda-t-elle en remarquant son expression contrariée.

        — On dirait bien...admit-il.

        — Mais pourquoi ?

        — Sûrement parce qu’il veut que vous seule l’entendiez ! lui menti-t-il. Bouchez vos oreilles.

        Les Talëns avaient beau avoir une apparence humaine, ils différaient de nous de bien des façons. Outre leur capacité à prendre une forme animale, ils disposaient aussi d’une corde vocale supplémentaire rendant leur dialecte imprononçable pour les autres peuples. Leurs tympans percevaient bien plus de nuances que les nôtres. Les non-talëns capables de parler et de comprendre cette langue étaient extrêmement rares et le phénomène encore inexpliqué, n’était jamais un bon augure.


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