• CHAPITRE 9: Hedyi, l'étrange petite fille de l'Anachron

     
    Attention, les pensionnaires de l'Anachron ne sont pas tous ce qu'ils semblent être !
    LES INSOMNIES D'ARKHEL, LE REVEIL DE LOU A L'ANACHRON, SUR LA PISTE DE FAUSTE

     

    LES INSOMNIES D'ARKHEL, LE REVEIL DE LOU A L'ANACHRON, L'ETRANGETE DES LIEUX ET DE SES PENSIONNAIRES...


            Cette nuit là, rien ne vint perturber le lent et monotone ballet urbain des sphères lumineuses veillant sur la cité. Seul, un léger brouillard flottait dans les ruelles, l’air était particulièrement humide et glacial, les titans de verre étaient presque silencieux. Nul ne semblait avoir trouvé le courage de s’aventurer à l’extérieur. Ni chats, ni rats dans l’ombre des ruelles, pas plus que de chiens errants. Juste un oiseau de nuit solitaire qui passa furtivement au-dessus des toits.

         A l’Anachron, tout le monde dormait paisiblement. Gabriel, pour la première fois depuis qu’il était chez Cameri, ne pleura pas : un petit miracle qui laissait planer sur la passe un silence inhabituel mais une seule personne était encore éveillée pour en profiter. Etendu dans son hamac sous les combles, Arkhel se balançait doucement, fixant les poutres au-dessus de lui, là où divers objets étaient accrochés, il s’agissait de souvenirs, de bricolages, de mobiles de verre, d’armes, de lampions avec, fixées au centre de tout ce bric à brac, des cartes astronomique, des mappemondes dont certaines devaient être très ancienne, d’autres gribouillées avec plus ou moins de soins.

    Il avait fini par s’habituer à sa vie à l’Anachron et même à l’apprécier, mais la trêve qui régnait depuis des ères sur le monde était sur le point de s’achever et il était temps pour lui et les autres esprits anciens de reprendre les armes. Les derniers événements ne cessaient de tourner dans la tête d’Arkhel et l’empêchait de trouver le sommeil : la réapparition de Fauste, le bannissement de Loukas, la présence des Talëns à Aysenaleth...

        PENSEES ET BLABLA Il n‘était pas surpris, il savait que ce moment viendrait tôt ou tard, le problème n’était pas là. Le problème c’était Fauste et son retour après trois ans de vie en ermite dans le royaume de Syn. Il fallait qu’il sache pourquoi elle était partie si subitement après la mort de Khyyl, pourquoi elle n’avait pas donné de nouvelles et pourquoi elle avait refusé de le voir et surtout, il avait besoin de savoir ce qu’elle lui reprochait.

    Malheureusement, Fauste ne se laissait pas approcher si facilement...

         D’un souffle brûlant, Arkhel raviva le bout de bois incandescent qu’il était en train de fumer et qui aurait du apaiser ses palpitations depuis d’une bonne heure au moins mais restait sans effets ou presque. Une main sur son cœur fébrile, il prit une grande bouffée qu’il ne recracha qu’au bout de longues secondes en grands ronds de fumée. Il sourit en sentant enfin sa vision s’habiller d’un halo lumineux un peu flou, preuve que l’essence du végétal agissait bien sur son système nerveux. Pourtant son cœur ne cessait de battre de plus en plus vite, son corps était bouillant, sur le dos de ses mains des ornements noirs étaient apparus et s’étendaient lentement à ses avants bras, remontant vers ses épaules. Arkhel regarda ses tatouages progresser avec un certain amusement et son sourire s’élargit encore après une dernière bouffée.

    C’était à cause de Fauste tout ça. La jeune femme rôdait autour de l’Anachron depuis un certain temps mais jamais elle ne s’en était approchée autant que la veille quand elle avait escorté Loukas. Arkhel avait parfaitement senti sa présence et soupçonnait même la jeune femme de jouer avec ses nerfs. Fuir un Talën n’avait pas d’autre conséquence que d’exciter d’avantage son instinct de chasseur et elle le savait mieux que personne.

    Arkhel quitta donc son hamac, il ne tenait plus en place, ses yeux bleus avaient virés au doré et c’est d’une démarche quasi animale qu’il gagna la fenêtre. Puisque Fauste semblait vouloir jouer, il n’allait pas se faire prier.

         La nuit était à lui et il la passa à traquer sa proie favorite des hauteurs de la ville au bas fond insalubres, mais ce n’était pas une proie comme les autres. En plus de connaître Arkhel et ses méthodes par coeur, Fauste avait bénéficié dès son plus jeune âge d’un entraînement militaire et occulte hors normes et ce ne fut donc qu’après plusieurs heures de chasse effrénée qu’Arkhel parvint à la rejoindre et lui barra finalement la route.

         « Gagné ! » tonna-t-il en surgissant devant Fauste qui le percuta de plein fouet.

         Reculant de plusieurs pas sous l’impact, Arkhel referma sans douceur ses bras autour de la jeune femme.

         Le visage de Fauste disparaissait sous une écharpe et une capuche sombre qui ne laissaient voir d’elle que ses extraordinaires yeux verts, rivés plein de rage sur le Talën. Une fraction de seconde plus tard, alors que le ciel était parfaitement dégagé, la foudre tombait sur Arkhel l’obligeant à libérer sa proie pour esquiver.

         « Ok, dit-il en reprenant une apparence plus conventionnelle. Un partout ! »

         Ils étaient sur l’un des toits les plus haut de la cité et situé près de la canopée de l’un des titans de verre.

         Un vent glacé se leva, découvrant le visage de Fauste, sali, griffé, le coin de sa lèvre inférieure était enflé et légèrement fendu, ses vêtements présentaient de nombreux accros.... Elle était en loque et l’état de son visage n’était sûrement qu’un aperçu de son état général.

         Pourtant, même ainsi marquée Fauste restait belle. L’ardente chevelure de la jeune femme dansait emmêlée sur ses épaules formant un halo flamboyant qui captivait le Talën. Mais Arkhel serra les dents de colère et émit un grondement animal à peine étouffé.

         « Regarde-toi... », grinça-t-il.

         La jeune femme lui adressa un sourire narquois, rabattit la capuche sur sa tête et tourna les talons sans un mot.

         « Une minute ! l’interpella-t-il.

         – Je n’ai rien à te dire », déclara-t-elle sèchement en s’apprêtant à bondir dans le vide.

         Arkhel lui barra de nouveau la route mais s’abstint avec sagesse du moindre contact physique.

         « Je ne te demande qu’une minute », insista-t-il.

         La jeune femme, qui en avait assez de perdre son temps à essayer de le semer, savait qu’il ne la lâcherait pas avant d’avoir eu un semblant de discussion avec elle. Elle resta plantée face à lui, les poings sur les hanches et soupira : « Tu as une minute, lézard. Pas une de plus ».

         Le Talën poursuivit le plus calmement possible, s’efforçant de choisir ses mots avec soin pour ne pas la braquer. : « Cameri ne pourra pas lever la malédiction et réveiller l’Anachron sans toi. Loukas nous a rejoint et même s’il a tendance à m’exaspérer je te remercie de l’y avoir aider, mais sans toi ce ne sera pas suffisant. 

         – J’ai encore le temps et je te signale que je suis intervenue plusieurs fois en faveur de Cameri, rétorqua-t-elle.

        – Oui, et d’ailleurs il pose beaucoup de questions à ton sujet, entre lui et Loukas ça va vite devenir intenable. Cameri doit nous réunir à l’Anachron. S’il te plait, il est temps que tu nous rejoignes. Si cela peut te convaincre, je promets de te laisser tranquille et même d’éviter de te croiser, bien que je ne sache toujours pas ce que tu me reproches... »

         C’était la phrase de trop, le sujet tabou, Fauste tiqua et s’emporta instantanément et sans la moindre retenue.

         « Tu t’imagines que pendant ce temps je m’amuse ?!

         – Il suffit de voir dans quel état tu es pour comprendre que ce n’est pas le cas. Ne déforme pas mes propos, Fauste.

         – Je rejoindrai Cameri le jour de la malédiction, ce sera amplement suffisant.

         – Tu n’en sais rien ! protesta-t-il s’emportant à son tour. Tout ce dont nous sommes certain c’est que nous devons être présents le jour venu mais il y aura forcement…Il y a peut-être un moyen de le sauver avant, tu ne crois pas ? On ne peut pas simplement attendre le jour fatidique alors que nous ignorons même ce que nous aurons à faire.

         – Il y a d’autres choses bien plus urgentes dont il faut que je m’occupe. Tu me fais perdre mon temps….

         – Tu m’as accordé une minute ! Lui rappela-t-il. Explique-moi au moins ce que tu cherches à faire de si capital. Empêcher le réveil de la seconde tour ? Tu ne pourras pas, parce qu’il est trop tard. En aidant Cameri, nous pourrions faire en sorte que tout se passe bien et même avoir un coup d’avance sur le fléau ! »

         Fauste éclata d’un rire sombre.

         « Et qu’est-ce que « tout », pour toi ? lui demanda-t-elle avec mépris. Si les tours s’éveillent alors Eïae réapparaîtra. Elle a eu son temps, elle n’a aucun droit de balayer le monde qui lui a succédé.

         – Tu sais très bien que je suis d’accord avec ça, mais ouvre les yeux nous ne faisons pas le poids ! Nous ignorons toujours quoi faire et comment vaincre le fléau et toi, tout ce que tu vas réussir à faire c’est te tuer ! » clama-t-il.

         La jeune femme resta inflexible, elle mit des lunettes de soleil pour ne pas être aveuglée par le levant dont les rayons pointaient à l’horizon et pivota en une fraction de seconde pour porter un coup violent au dragon mais celui-ci avait déjà disparu.

         Un vent impétueux enroba la jeune femme, tiède, si particulier, si familier, le vent maîtrisé d’Arkhel portant sa voix comme un message télépathique : « Que dirais-tu d’un nouveau monde ? Un monde qui serait l’union d’Eïae et de celui-ci, un nouvel univers. Si Cameri survit, cela pourrait être possible.

         – J’en dis que tu rêves, Arkhel Kaïlhann », rétorqua-t-elle à haute voix.

         Le vent se déchaîna et Arkhel réapparut dans son dos, furieux.

         « Les Talëns ne rêvent qu’une fois et mon rêve c’était toi ! gronda-t-il plein de rancœur.

         – Alors, c’était un cauchemar, lui répondit-elle sur un ton glacial. La prochaine fois que tu me pistes de la sorte, je te…

         – Tu quoi ? Demanda-t-il lui faisant soudainement face.

         – Je te tue, menaça-t-elle dans un murmure en plaçant l’une de ses lames sur sa jugulaire.

         – Je te piste parce que j’avais besoin de savoir pourquoi tu m’en veux autant, révéla-t-il. Mais en voyant ton état, je me dis que je me suis fourvoyé 

         – Vraiment ? se moqua-t-elle incrédule.

         – Oui : tu ne m’en veux pas, tu me fuis ».

         Les lames de Fauste sifflèrent en glissant l’une contre l’autre pour se refermer sur la gorge d’Arkhel. Le Talën esquiva en riant et reprit sa forme transitoire, deux fines entailles perlées de sang se dessinèrent sur les côtés de son cou.

         « Ne sois pas si prétentieux, dragon », le mit-elle en garde avec malice.

         La jeune femme souriait, détendue, ses lames rangées dans leurs sangles elle recula sans lui tourner le dos.

         « Ta minute est écoulée, nous nous reverrons le jour du sacrifice. Oh, mais...pendant que j’y pense ! J’ai laissé quelque chose à la petite dame de l’ambassade qui devrait t’intéresser et t’occuper jusque là...

         – Idaline Eiquem ?

         – Elle-même, fanfaronna la jeune femme. Si j’étais toi, j’irai faire un tour là-bas et soit gentil, envoie-les en enfer et restes-y avec eux ».

         Arkhel esquissa une révérence ironique. Quand il releva la tête, Fauste avait disparu. Il ne chercha pas à la poursuivre de nouveau, elle ne plaisantait pas quand elle proférait des menaces et il était curieux de savoir ce qu’Idaline Eiquem allait découvrir grâce à elle et puis ce serait aussi l’occasion de chercher à en savoir d’avantage sur le brusque changement d’attitude de l’ambassade Nord vis-à-vis de Loukas.

         Arkhel ne rentra pas à l’Anachron malgré le sommeil qui le gagnait enfin et prit donc la direction du siège de l’ambassade.

         La passe de Cameri, elle, s’éveillait. Après un rapide petit déjeuné et une discussion légère avec le maître des lieux, Damia et Seyric reprirent leur route. Leur rôle d’otage était terminé et ils se signalèrent comme prévu à la première patrouille qu’ils croisèrent, révélant avec un empressement étudié que le waherlïn Loukas O’Meiry avait trouvé asile à l’Anachron avant de les relâcher. Acteurs nés, ils n’éveillèrent aucun soupçon et furent reconduits à l’ambassade avec maints égards.

         Lou ne se leva que plusieurs heures après leur départ. Rasé de près, décrassé et changé, il était presque méconnaissable. La chambre que le passeur lui avait attribuée était exiguë, impersonnelle, mais relativement bien arrangée : un lit simple, en bois de pin avec des draps de lin, une fenêtre donnant sur le jardin, une paire de rideau de coton blanc tombant jusqu’au parquet particulièrement usé. Le waherlin ouvrit la fenêtre et s’y accouda le temps de jeter un coup d’œil à ce qui se passait en dessous. Le jardin devait faire dans les cent mètres carrés environs et ne se composait que de plantes vertes, il était entretenu grossièrement sans aucun souci esthétique. Dans un coin se trouvait une chaise longue couverte de rouille, ça et là reposaient quelques ustensiles malmenés, mais il régnait un calme apaisant dans ce jardin bordélique.

         Il lui fallut quelques instants pour réaliser que ce qu’il avait vécu ces derniers jours n’était pas un mauvais rêve. Préoccupé par sa nouvelle situation et ses difficultés à accéder à sa base de données, il tenta de faire fonctionner le brachial pour la première fois depuis l’examen d’Ida. Il se concentra sur une question simple du genre quel temps faisait-il l’année dernière, le même jour à la même heure et aussitôt une violente douleur remonta dans son bras et le piqua au cœur. De toute évidence, le mouchard n’était pas à l’origine du disfonctionnement ainsi qu’ils le pensaient.

         Loukas referma la fenêtre, s’assit sur le rebord de son lit et se perdit dans la contemplation de la structure du brachial, complexe, à la fois mécanique et semi organique, parcourue d’électricité et de fluides aux reflets métalliques.

         Il avait été « équipé » dès son plus jeune âge et, contrairement aux autres waherlïns, ne vivait pas cela comme une grande distinction mais plutôt comme une malédiction. Savoir que cette chose qui collait à son bras était hors service aurait du le réjouir au lieu de l’inquiéter. Le brachial inutilisable, il n’y avait plus aucune raison qu’il ait des visions ou même l’accès à de quelconques données pourtant il voyait encore des choses qu’il n’aurait plus du être à même de voir. En réalité, il y avait une explication mais il la refusait : être un waherlïn sans l’aide du brachial revenait à s’avouer qu’il était Reah Marek. Le grand, le seul et l’unique authentique waherlïn d’Eïae.

         Lou savait parfaitement qu’il était un esprit ancien, que Khyyl l’avait ramené en utilisant de nombreux sorts, un peu d’ADN trouvé par on ne sait quel miracle et une mère porteuse qui n’avait pas survécu à l’accouchement, mais il n’avait jamais vécu en tant que tel et Reah Marek était un inconnu qui ne lui plaisait pas plus que le brachial. Il n’avait pas vraiment de souvenirs de sa vie à Eïae, juste quelques cauchemars occasionnels qui lui laissaient une sensation amère de déjà vu et de panique au réveil, exactement comme ce matin là.

         Loukas était de très mauvaise humeur, la journée promettait d’être morose mais c’était sans compter sur la cuisine de Cameri car dès lors qu’une bonne odeur de pizza vint lui chatouiller les narines, le jeune homme sentit ses soucis s’éloigner. Il réalisa qu’aucun waherlïn n’avait mis les pieds à l’Anachron depuis plus d’un siècle, Lou se leva et fit quelques pas de long en large tout en tapotant ses doigts les uns contre les autres. La passe Hedera l’avait toujours fasciné, labyrinthe complexe, truffé de passages secrets et aussi de pièges, regorgeant de trésors recueillis au fil des siècles, terre d’asile débordant d’histoires merveilleuses, largement de quoi lui faire oublier à ses mésaventures en fin de compte.

         Lou se rendit au rez-de-chaussée, avançant avec beaucoup de précautions dans le couloir aux murs de pierres, il lui sembla entendre de la musique. Cameri était en bas, occupé au nettoyage de ses ustensiles de comptoir, le waherlïn l’épia quelques instants avant de se montrer mais il ne nota rien d’anormal si ce n’est ce boitillement et cette propension à accompagner toutes ses paroles de gestes amples. Le passeur était seul, il chantonnait sur un air musette que le gramophone jouait.

         « Bonjour waherlin, lança-t-il joyeusement quand il entendit craquer le plancher.

         – Bonjour, répondit-il en descendant les escaliers. Tu as l’ouïe fine...

         – Je suis au courant de tout ce qui se passe à l’Anachron, on peut dire que je suis une part du bâtiment...

         – Intéressant... »

         Cameri marqua un temps, surpris.

         « D’habitude les gens trouvent ça plutôt dérangeant.

         – Eh bien, moi je suis une part de l’ambassade, dit Loukas en désignant son brachial. Enfin, j’étais...Où sont Damia et Seyric ?

         – Déjà partis et arrivés à bon port, répondit Cameri en disparaissant sous le comptoir pour ranger des verres.  Ravi de voir que tu as retrouvé une apparence plus présentable. C’est mieux de dormir ici que dans la tempête du désert d’Arech, n’est-ce pas ?

         – Les nouvelles vont vites…siffla Loukas en s’asseyant au comptoir.

         – Tu n’as pas idée. Je n’ai jamais mis les pieds là-bas mais j’en ai souvent entendu parler : Arech, le sans retour. Ta survie tient du miracle, tu sais ?

         – J’ai toujours beaucoup de chance, répondit Loukas en haussant les épaules. Jusqu’à présent... ».

         Cameri leva ses yeux vers lui, des yeux rieurs.

         « Ou alors tu as un ange gardien...

         « Parfois je me le demande. Arkhel est dans les parages ? ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu, j’ai hâte de discuter avec lui.

         – Il est un peu à cran ces temps-ci et fuit la compagnie. Je crois qu’il est sorti cette nuit et il n’est pas encore rentré.

         – Au moins une chose qui n’a pas changé ».

         Sans cesser d’essuyer ses ustensiles Cameri examina le visage tout à coup figé et le regard lointain du waherlïn. Il savait qu’Arkhel et Loukas se connaissaient et qu’ils étaient probablement amis, leur cohabitation risquait d’être intéressante.

         « Je me demandais ce qui était arrivé à son visage ? demanda soudainement le waherlïn sortant de ses pensées. Pourquoi cette cicatrice ne guérit-elle pas ? Je n’ai jamais vu Arkhel garder la moindre écorchure plus d’une semaine et cette blessure là à l’air bien plus ancienne.

         – Je préfère ne pas le savoir, révéla Cameri. Mais quoique ce soit, ça c’est produit avant son arrivée ici.

         – Et il est arrivé il y a combien de temps ?

         – Trois ans environs ».

         Trois ans. Il y a trois ans, Khyyl mourrait dans d’horribles circonstances, Arkhel accusé du meurtre disparaissait sans laisser de traces et Fauste s’exilait dans les plaines arides du royaume de Syn refusant tout contact. Trois ans qu’ils ne s’étaient pas revus tous les trois et voilà que leur chemin se croisaient de nouveau. Ce n’était pas une coïncidence.ILLUSION

         Loukas avait beaucoup de questions à poser mais il était aussi mort de faim et son estomac se rappela à lui.

         « Il y a de quoi manger dans la cuisine, de la pizza tout juste sortie du four. Là-bas, dit Cameri en lui indiquant d’un geste vague une porte métallique dotée d’un hublot vitré derrière lui.

         – Merci, ce n’est pas de refus ».

         Les questions attendraient. Cameri se remit à fredonner de plus belle, Lou se dirigea dans la direction qu’il venait de lui indiquer et découvrit une véritable cuisine de professionnel. Il prit un morceau de pizza et déjeuna le plus vite possible, trépignant d’envie de découvrir son nouvel asile. Mais les lieux et la nourriture ne suffirent pas à chasser toutes ses mauvaises pensées. Les  S.A.U le traqueraient et même si l’Anachron constituait un refuge sûr, il n’en serait pas moins une prison pour lui et ça ne lui remontait pas le moral.

         La porte s’entrouvrit et il entendit Cameri lui demander s’il avait trouvé ce qu’il voulait, Lou grommela un oui à peine audible et mordit à pleine dent dans sa seconde part de pizza, croisant les jambes en tailleur sur le tabouret.

         « Je peux pas rester enfermer ici toute ma vie, Ida a complètement perdu la tête, rumina-t-il. 

         – Toute ta vie. Toute ta vie », entendit-il comme un écho.

         Balayant la pièce du regard il ne vit personne.

         « Qui est ...

         – Là ? » chantonna Hediy qui surgit dans son dos. 

         Sous le coup de la surprise, il hurla en lâchant son petit déjeuné ce qui eut pour effet de rendre la petite fille complètement hilare. Le waherlïn aurait lui-même rit volontiers si Hediy avait eu le rire d’une enfant, au lieu de ça son rire bestial lui vrilla les tympans et lui donna la chair de poule.

         « Bonjour. Tu t’appelles Hediy c’est bien ça ? Moi c’est Loukas », lui dit-il en essayant de garder son calme.

         La petite fille ignora sa question et se mit à danser autour de lui en chantonnant de plus belle. Un short rose pâle et une chemise beaucoup trop grande pour elle, couleur blanche, probablement empruntée à Cameri et une sorte de tunique qu’elle avait enroulée autour de sa tête et qui appartenait sûrement à Arkhel.

         « Reah est ici, Réah est ici », chantonna-t-elle.

         Lou perdit tout envie de rire.

         « Chuuut, Soit gentille arrête de chanter », la supplia-t-il.

         Hediy stoppa net sa ronde infernale et abandonna son sourire angélique pour en afficher un autre plus terrifiant, le sourire d’une folle. Ses dents étaient anormalement pointues, ses yeux semblaient sortir de leurs orbites. Quand elle avança vers lui, il trébucha contre son siège, sa tête heurta le sol et par réflexe il se protégea de ses avants bras, pensant que l’enfant allait bondir.

         Rien ne vint.

         Quand il rouvrit les yeux Cameri était penché au dessus de lui, s’appuyant sur une canne chromée, un sourcil relevé, le poing sur sa hanche gauche et un torchon à carreaux sur l’épaule.

         « Mettons les choses au clair tout de suite : il y a quelque chose que je dois savoir à ton sujet ? Tu prends des calmants à heures fixes ? Réaction à la pleine lune ? A certains aliments ?

         – Non. C’est … » 

         Hediy était toujours là, un visage angélique souriant au waherlïn avant de partir, puis elle partit en poursuivant sa chanson, comme si rien ne s’était passé.

         « J’ai cru qu’elle m’attaquait, expliqua-t-il en se relevant.

         – Elle n’a que huit ans, soupira Cameri en enclenchant son lave-vaisselle et marmonnant pour lui-même. Cette passe n’attire que des tarés.

         – J’ai probablement du rêver, je dois être encore fatigué, s’excusa le waherlïn en ramassant sa pizza qui dans l’affolement lui avait échappé.

         – Tu as parlé de quelqu’un hier soir. Eylis Mara, se rappela soudain le passeur en se gratta la tête d’un air embarrassé. Ça vient juste de me revenir.

         – Une petite brune, avec des tâches de rousseur, un mètre soixante environ, pas très adroite, dit le waherlïn

         – Ah oui, elle est arrivée hier, annonça le passeur. Arkhel m’a dit qu’elle travaillait pour les ambassades alors je l’ai enfermé à l’étage.

         – Eylis est enfermée ? s’étonna Loukas souriant en coin.

         – Je vais lui présenter mes excuses et la libérer sur le champ mais il vaudrait mieux que tu m’accompagnes ».

         Lou ne jugea pas opportun de préciser que ses relations avec la jeune femme pouvaient être houleuses et se contenta de suivre le passeur à l’étage. Eylis allait être dans ses pattes et il était hors de question qu’elle apprenne sa véritable nature, il lui faudrait être très vigilant. Ce qui signifiait que la jeune femme allait occuper une grande partie du temps du waherlïn contre son gré.

         Finalement, il était possible que la présence de la jeune femme serve les intérêts et la tranquillité du Talën...

         Arkhel, lui avait chassé momentanément Cameri, Loukas, la passe de l’Anachron de son esprit, seuls tournaient dans sa tête les mots de Fauste.

         


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  • Commentaires

    1
    Kiru Loup Profil de Kiru Loup
    Vendredi 8 Janvier 2010 à 13:05
    ouah! Il s'en passe des choses! J'aime toujours autant même si je me perds un peu dans les personnages. Il y a quelques phrases où des mots sont en trop ou en moins, mais ça n'a pas grande importance. Continue! moi je lis...
    2
    Dimanche 17 Janvier 2010 à 18:50

    Merci de ton assiduité Kiru Loup ^^
    POur les mots en trop ou en moins je vais relire et corriger...

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    3
    fanfan de troyes Profil de fanfan de troyes
    Dimanche 20 Juin 2010 à 19:08
    Il faut absolument que je prenne le temps de te lire
    car je suis toujours en admiration pour les écrivains.
    Et toi, tu en fais partie...
    4
    Samedi 19 Mars 2011 à 10:26

    Contente d'avoir retrouvé le chapitre perdu !

    Je suis toujours aussi prise par la lecture mais en plus j'ai admiré le dessin : pénombre et lumière, très bien fait.

    5
    Dimanche 20 Mars 2011 à 09:15

    Merci à Fanfan avec un peu de retard , désolée je n'avais pas vu ton message...

    Merci Jrafke, le dessin c'est de l'aquarelle (apprise aec l'aquarelle pour les nuls lol)

    6
    Samedi 21 Mai 2011 à 18:47

    moi, je suis toujours sous le charme................. LOUKAS!!!! ^^ il me plaît beaucoup.... hi hi!!!

    7
    Samedi 21 Mai 2011 à 18:50

    Il a pas mal de succès ^^

    C'est l'un des personnages qui va le plus évoluer dans l'histoire, même si ce n'était pas prévu comme ça au départ...Je dirais juste qu'il est pas sortit de l'auberge !

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