• Le roman - la version 0.0

    JE SOUHAITE CONSERVER CES CHAPITRES MÊME SI CERTAINS DISPARAÎTRONT DE LA NOUVELLE VERSION, MÊME SI LA QUALITE LAISSE UN PEU A DESIRER. JE LES CONSERVE AFIN DE GARDER UNE TRACE DE VOS ENCOURAGEMENTS, DE VOS CRITIQUES OU CONSEILS, DE VOS PASSAGES . 

    SOYEZ INDULGENTS, CE NE SONT ICI QUE LES PREMIERS PAS DE L'HISTOIRE. POUR L'EVOLUTION DU ROMAN C'EST DANS LA RUBRIQUE "NOUVELLE VERSION" !

    XXIe siècle, du jour au lendemain le monde change, mais le responsable oeuvre dans l’ombre depuis très longtemps. Rescapé d’un passé oublié, il entend bien vaincre le fléau cette fois-ci quand bien même cela signifierait détruire la Terre actuelle. 

    CHAPITRE 1  : Prologue 1/2   et nouvelle version ici  Une expédition scientifique tourne au drame sur les pentes d'un volcan. Une montée vers un véritable enfer menée par un étrange guide aux capacités étonnantes.
    CHAPITRE 2  : Prologue 2/2    
    200 ans plus tard, le monde a changé  
     depuis l'explosion du volcan, à l'exception de Khyyl et de l'élu.
    Le point sur la situation et petite incursion dans l'hémicycle de l'ambassade Nord.

    CHAPITRE 3  : Le retour du fils prodigue Loukas O'Meiry rentre "chez lui" tirer les choses au clair et demander l'aide d'une amie mais il est recherché pour meurtre. Suivez l'entrée en scène du waherlïn le plus incontrôlable de l'ambassade Nord.
    CHAPITRE 4  : Cameri Hedera : Bienvenue à l'Anachron la passe terrible qui se dresse contre l'ambassade Nord et faites connaissance avec le maître des lieux, un maître maudit dont les jours sont comptés.

     CHAPITRE 6 : Traversée des bois du Nord: Il est temps de fuir l'ambassade ! Loukas, Seyric et Damia partent pour l'Anachron mais ils sont vite obligés de prendre des chemins de traverses et reçoivent l'aide inattendue de la jeune femme aux cheveux vermillons.
    CHAPITRE 7-1Bienvenue à l'Anachron : Eylis arrive à l'Anachron et fait enfin connaissance avec Cameri. Mais avant de rencontrer le passeur il lui faudra affronter l'impressionant Arkhel Kaïlhann et revoir sa façon de penser. Mais l'Anachron est une passe dangereuse et Eylis va l'apprendre à ses dépends.
    CHAPITRE 9  : Arkhel passe une nuit blanche à pourchasser sa proie favorite !  A l'aube après l'avoir capturée il la relâche sans avoir obtenue les réponses qu'il cherchait. Loukas, lui, se réveille à l'Anachron et  découvre très vite que les lieux n'ont pas usurpés leur réputation.
    être déçu de la surprise.
     

     

     

  •  

    VOICI LES PREMIERES LIGNES DU FUTUR ROMAN. C'EST UN MONDE TRES PROCHE DU NOTRE QUI S'APPRETE A SUBIR LE PLUS GRAND CHANGEMENT DE SON HISTOIRE.



         J’aimais l’altitude. Dominer la mer, le monde du haut d’une montagne vibrante, crachant feu et lave était quelque chose d’incomparable qui provoquait dans mes entrailles un mélange d’excitation, de peur et une incroyable sensation de toute puissance.

     

         Contrairement à mes collègues volcanologues, je n’étais pas un scientifique mais un passionné autodidacte, seul mon statut de bienfaiteur et mon expérience du terrain m’assuraient une place dans l’équipe

         Nous étudions ce volcan depuis peu, l’armada de géophysiciens, géologues, sismologues et bio chimiste présents n’avait rien d’un groupe d’amateur, et comme aucune de leurs analyses ne laissaient présager d’une activité sismique imminente, nous étions partis sans perdre de temps à l’assaut du cracheur de feu fraîchement réveillé.

         Malheureusement, c’était bien une secousse et pas des moindres qui venait de m’envoyer à terre et à quelques centimètres d’une coulée de lave.

         Nous avions presque atteint le sommet quand la montagne se mit subitement à gronder, à s’ébranler, à cracher des colonnes de fumées et à émettre des craquements étranges, des trémors de fins du monde

         Encombré de ma combinaison d’aluminium, j’eus à peine le temps de me relever et de prendre mes distances avec la lave que les pentes du volcan tremblèrent à nouveau.

         Ecrasé contre un rocher, j’essuyais la poussière et la condensation qui maculaient la visière de mon casque, tentais de me repérer. Je suffoquais. La sueur qui coulait de mon visage mouillait mes yeux, troublait ma vue. Je ne recevais plus les communications de mon groupe, mon microphone avait du rendre l’âme. J’essayais en vain de les contacter et finit par les entrevoir, titubants de panique en direction de l’abri huit cent mètres plus bas.

         Les consignes en cas de pépin étaient pourtant bien de garder son sang froid, de scruter le ciel en vue de retombées incandescentes et de ne se déplacer qu’avec lenteur et prudence. Quelque chose avait du les effrayer, quelque chose que je ne voyais pas...

         Malgré la panique qui me gagnait, je m’en tins aux consignes de sécurité et observais les alentours.

         Notre guide n’était pas parmi les fuyards, je scrutais les environs envahis de fumerolles brunes et, pivotant péniblement, le découvris qui poursuivait tranquillement sa route vers le cratère.

         Les gens de l’île nous avaient mis en garde: Khyyl Harafem était un être maudit, un enfant du diable, mais comme nous n’avions pas pour habitude de prêter attention aux superstitions, nous avions malgré tout loué ses services.

         Grand et mince, la peau tannée par le soleil, des cheveux de jais et un regard de charbon, il avait le magnétisme hypnotique des fous furieux. Il avait ôté sa combinaison de protection et respirait à pleins poumons,  ses cheveux sombres flottant au vent.

         Mon rationalisme commença lentement à s’effilocher et à se dissoudre dans les brumes sulfureuses du volcan.

        Je jetais un coup d’œil à mes appareils de contrôle qui affichaient toujours des températures extrêmes et des taux de souffre et de dioxyde de carbone bien trop élevés pour pouvoir respirer sans aide.
                                                                                     PENSEES ET BLABLA

    Khyyl se dirigeait vers une cheminée latérale qui crachait un filet de lave étincelant. Il laissa passer une nouvelle secousse, enjamba le ruisselet rougeoyant, s’agenouilla à cheval au-dessus de ce dernier, face à l’orifice et plongea ses bras dans la lave. Incapable de détourner les yeux, je le vis extraire de l’orifice une sphère ardente d’un mètre de diamètre et éclater de rire juste avant que le filet de lave ne se transforme en un torrent et ne l’éclabousse copieusement. Khyyl s’en dégagea indemne, brandit la sphère à bout de bras et me fit face pour me lancer dans un grand cri de joie : « Ce sera toi ! »
    Le fait d’avoir retiré la sphère de la lave déclencha presque instantanément un effondrement du dôme et des coulées pyroclastiques qui rayèrent mes collègues, les autochtones et une grande partie du relief de l’île de la carte du monde. Seul persistèrent l’île qui n’était plus qu’un amas rocheux chaotique couvert de cendre, Khyyl et sa maudite sphère ainsi qu’une une tour biscornue d’une dizaine de mètres de haut.

         Et moi...

     

         Nous avions oublié quelque chose de capital, quelque part entre Adam et Eve, le big bang et Charlemagne, et tapit dans le volcan ce quelque chose venait de ressurgir. En cette dernière journée de printemps, il y a deux cent ans, la Terre se réveilla avec une gueule de bois mystique.

     

     

     

     


    25 commentaires

  • VOILA JE VOUS LIVRE LES PREMIERS CHAPITRES DANS LEUR INTEGRALITE, PAR LA SUITE J'ETOFFERAI LA GALERIE PAR DES ILLUSTRATIONS ET DES RECHERCHES GRAPHIQUES EN LIEN AVEC L'HISTOIRE.
    LE RYTHME DE PARUTION DEPENDRA SURTOUT DE L'INTERET QUE CE BLOG SUCITERA CHEZ VOUS, VISITEURS. DONC, LAISSEZ VOS IMPRESSIONS.

    BONNE LECTURE !




    PENSEES ET BLABLA

     

         Trois choses firent leur apparition après l’extraction de la sphère et l’explosion du volcan : la tour, une rivière et de nouveaux voisins.

         La tour, colossale et taillée d’un seul bloc dans un matériaux grisâtre inconnu, se révéla n’être qu’une coquille vide, perdue bêtement au milieu de l’océan seulement voilà, elle n’était pas venue seule...

         Quelques jours après son apparition, les sous-sols du monde entier se trouvèrent soudainement inondés par une eau épaisse remontant des profondeurs de la planète. Baptisée la « rivière », elle se révéla en fait être bien autre chose et nous le découvrîmes à nos dépends.

          Outre le fait qu’elle raya de la carte un grand nombre de ville ou de village, elle contamina l’eau potable de certaines zones et en purifia d’autre sans la moindre logique apparente. La répartition de la population à la surface du globe changea ainsi que les écosystèmes qui se déplacèrent en quête d’oasis. La « Rivière » remodela la vie à la surface du globe selon son bon vouloir durant une bonne année au moins. C’est le temps qu’il fallut à Khyyl pour reprendre le contrôle de cette chose, mais c’est une toute autre histoire qui d’ailleurs demeure encore assez obscure. Toujours est-il qu’après cette année cataclysmique et au terme d’interminables négociations la « Rivière » resta en sous-sol et ne fit plus surface.

         Khyyl révéla au monde qu’elle était une entité pensante nommée Ircadès dont le rôle était de servir de passage vers d’autres mondes. Après quoi - une fois n’est pas coutume - il avoua avec une grande modestie ne pas en savoir d’avantage et nous laissa digérer tout ça.

         Nous avions tout un monde à rebâtir mais nous allions en plus devoir composer avec de nouveaux voisins et tous n’étaient bien intentionnés, la pilule avait du mal à passer.

         Désordres, insécurités et guerres civiles, toute la société était à réorganiser et cela demanda du temps, beaucoup de temps. Sous l’impulsion de Khyyl, qui finit par se sentir obligé d’intervenir, et afin de gérer au mieux les nouvelles cohabitations, terriens autochtones et nouveaux venus se réunirent en une structure de coopération appelée : Surfaces et Affleurements Unis.

         Gérer les problèmes de voisinage inter universel fut effectivement leur tâche au court des cent cinquante premières années mais pour ce qui fut des cinquante dernières, leurs motivations se firent plus troubles.

         Tout ce chambardement n’était qu’un prélude et tandis que des créatures rivalisant de merveilles et d’horreur se bousculaient à notre seuil, que d’autres mondes affleuraient dans nos sous-sols grâce à Ircadès, une menace bien plus terrible encore rodait, celle la même qui avait anéanti le monde précédent dont ne restait plus aujourd’hui qu’une tour vide ridicule et une « rivière » frontière complètement folle.

         Malgré tout cela, au bout de deux cents ans, on peut dire que le monde était approximativement redevenu ce qu’il était avant l’apparition de la Tour et d’Ircadès, du moins pour ce qui était de la vie moderne et technologique. Croiser des créatures étranges était devenue monnaie courante et les forces armées des Surfaces et Affleurements Unis omniprésentes et bien rodées veillaient à la sécurité de tous de manière assez efficace.

         En dehors de ce rôle de garde fou, les seules actions entreprises au grand jour par les S.A.U se bornaient désormais à de gigantesques réunions d’informations. Des réunions régulières où l’on martelait à l’assistance -l’air de rien- ce qu’elle devait penser ou non.

         Joseï Jerkaï, éminent sociologue d’une soixantaine d’années menait celle d’aujourd’hui. Ce n’était pas un homme très estimable mais il était d‘un ridicule divertissant, sa présence et le fait que j’étais dans les parages avait motivé ma présence à l’ambassade Nord. Il m’arrivait d’y assister parfois mais seulement après la première centaine d’années, histoire d’être sûr que personne ne me reconnaisse car entre autre chose, sur les pentes de ce volcan il y a deux cents ans, j’étais devenu immortel.

     


    23 commentaires
  •  

     

         

         ALLEZ, ACCROCHEZ-VOUS ! VOILA ENCORE QUELQUES PERSONNAGES ET LA PLUS GRANDE PARTIE DES PROTAGONISTES SERA EN PLACE. VOUS REPRENDREZ VOTRE SOUFFLE AU PROCHAIN CHAPTIRE... ENFIN UN PETIT PEU.



         Tandis que Joseï menait sa réunion en tyrannisant son auditoire, à l’extérieur, tapit derrière un container à ordure, Loukas O’Meiry, lui, cherchait un moyen de pénétrer dans le bâtiment. Il observait son reflet dans un vieil éclat de miroir brisé. Traits tirés, peau rugueuse, barbe poussiéreuse de plusieurs semaines, en dehors de ses grands yeux brun rouge, presque juvéniles, il était méconnaissable, un avantage pour se faufiler incognito dans l’ambassade.
    De l’extérieur, l’ambassade Nord où se trouvait l’hémicycle, était une vieille bâtisse grisâtre. Un condensé architectural de ce qui avait pu se faire de pire et de meilleur en ce monde et dans les divers affleurements. C’était une fin d’après midi, l’air était frais, quelques nuages parcouraient le ciel masquant le soleil par intermittence. Loukas aurait du être en mission d’exploration dans un nouvel affleurement ainsi que le Conseil en avait décidé, mais ce même Conseil avait également prévu à l’insu du jeune homme qu’une embuscade l’y attendrait. Loukas O’Meiry était le genre de personne à savoir tout un tas de choses dérangeantes et à les ébruiter selon son bon vouloir. Il serrait dans sa main un tract affichant son portrait barré d’une ligne sombre et épaisse : le registre Noir, celui où étaient confinées les têtes à abattre. Il était étonnant qu’il n’ai pas eu ce genre d’ennuis plus tôt, heureusement pour lui il était aussi malin que chanceux et il avait trouver le moyen de leur échapper et de regagner la surface.

         Le jeune homme, désormais hors la loi, s’assura que la ruelle était déserte et sortit de sa cachette en espérant qu’on le prendrait pour un vagabond. Il se voûta, modifia sa démarche et longea la clôture magnétique sur plusieurs mètres, sifflotant sans rencontrer âme qui vive. Il avait traversé un désert et une tempête de sable, il avait faim et soif, il avait sommeil. Si on le reconnaissait, il n’aurait pas la force de s’enfuir. Il avança, avança, avança, jusqu’à ce qu’il dépasse enfin le premier poste. Le bâtiment était truffé de caméras, de soldats, de bêtes, de gardes, il lui fallait trouver un moyen d’entrer sans être vu et justement une calèche immense et sombre venait de tourner au coin de la rue et le devança lentement. En un éclair, Lou se glissa sous le véhicule, s’y cramponna de ses dernières forces et retint sa respiration au moment de franchir le portail. Tirée par six flammes d’air, la calèche se déplaçait dans un sifflement léger. Une petite trappe à quelques centimètres de lui s’ouvrit et une voix de femme chuchota : « O’Meiry, quel plaisir de vous voir. »

         Lou fouilla dans sa mémoire où il avait bien pu entendre cette voix mais il ne parvenait plus à réfléchir, il était trop épuisé. Il bougonna dans sa barbe et risqua un œil dans l’encadrement. L’intérieur était spacieux et il s’en dégagea de douces fragrances fruitées, la femme porta son index devant sa bouche masquée de dentelle orangée et or pour lui signifier de se taire. Les broderies couraient sur tout son corps en un drapé ample, superposé à d’autres, d’or et d’argent. Sa chevelure savamment tressée, semée de fils, de rubans et de perles avait des tons inidentifiables. D’après les plis au coin de ses yeux couleurs de miel c’était une femme d’âge mur.

         « Entrez, lui proposa-t-elle toujours en chuchotant. »

         Lou lui lança un regard suspicieux avant de se tourner vers le portail, des aboiements attirèrent son attention sur la droite. Une meute de grands chiens verdâtres fonçait droit sur lui.

         « Je ne vais pas vous manger, précisa calmement la passagère de la calèche. Mais eux, oui.

         – Je n’ai pas d’argent, lui lança-t-il malgré la pression. Et je ne vends pas mon corps!

         – Dans l’état où vous êtes personne ne voudrait de vous, rétorqua-t-elle aussitôt. »

         La meute se rapprochait, Lou s’empressa de rejoindre la mystérieuse femme, referma la trappe et se laissa lourdement tomber sur la banquette soulevant de ses habits un nuage de poussière.

         « Par tous les Dieux, cesser de vous agiter, le supplia-t-elle en toussotant.

         – Désolé, je n’ai pas vu de douche sous votre voiture. Les caméras vont se rendre compte que j’ai disparu, il ne faudra pas longtemps aux gardes pour deviner que je me suis servi de votre voiture. Allez-vous me livrer ?

         – Si telle était mon intention, ce serait déjà fait », lui assura-t-elle.

         D’un mouvement de la tête, la dame lui fit signe de regarder par un hublot sans teint à l’arrière. Loukas se tourna avec quelques difficultés et vit une silhouette poursuivre son chemin dans la rue tel qu’il l’aurait fait s’il n’avait pas croisé la calèche. Une réplique de lui-même.

         « Il va faire le tour de la clôture et disparaîtra, expliqua la dame.

         – C’est une technique d’illusion très complexe, dit-il admiratif. Savez-vous les risques que vous prenez si on me découvre ? Qui êtes-vous ?

         – Savez-vous vous-même ce que vous faites en entrant ici ? Ne me dites pas que vous ignorez que tout le monde vous cherche.

         – ça, ce n’est pas nouveau, ricana-t-il.

         – Oui, mais si j’en crois la rumeur, cette fois vous avez envoyé à la tombe deux de vos semblables, l’interrompit-elle. Cela n’a plus rien à voir avec vos gamineries habituelles.

         – C’est un coup monté ! rétorqua-t-il en bondissant, un index menaçant pointé sur son interlocutrice. Ne redites jamais ça.... Des gamineries habituelles ?!

         – Asseyez-vous et essayez de faire un peu moins de bruit, lui conseilla-t-elle avant de prendre un plateau et de lui présenter. Les choses changent de plus en plus vite, nous avons toutes les raisons de croire que la seconde tour ne tardera pas à faire son apparition.

         – Qu’est-ce qui change ? Je vois toujours les mêmes abrutis, répondit-il en prenant une pomme.

         – Caram Kasan, mon époux, sera ravi de le savoir » .

         Lou blêmit, écarquilla les yeux et laissa tomber le fruit. Dame Kasan, épouse vénérée du seigneur Caram que nul n’a jamais vue et ne dois jamais voir sous peine de mourir des mains de Caram lui-même, se mit à rire. Loukas plaqua les mains sur ses yeux et lui tourna le dos. Sa tête heurta au passage une barre de fer et il souleva à nouveau un nuage de poussière.

         « Nom de Dieu ! jura-t-il. Il n’y a qu’à toi que ça arrive mon pauvre O’Meiry. Je suis fichu, fichu !

         – Reprenez-vous, implora confuse Dame Kasan. Je vous en pris il est inutile de vous mettre dans de tels états de nerfs.

         – Ah non ? Maintenant, si ce ne sont pas les S.A.U qui me décapitent ce sera votre mari ! Franchement je préfère encore les chiens verts. Salut, c’était sympa....

         – Monsieur O’Meiry, mon mari me cache aux yeux de tous pour nous permettre de faire sortir ou entrer des gens dans votre situation, non par excès de jalousie. Cela me permet de passer tous les barrages sans être contrôlée.

         – Non et non ! Affronter les S.A.U est une chose, affronter le seigneur Caram en est une autre ! Au revoir, Madame.

         – Loukas O’Meiry, je vous ordonne de vous retourner sur le champ ! »

         Lou connaissait les protocoles, il avait grandi à l’ambassade et il était tout à fait conscient de son impolitesse, frottant la bosse douloureuse qui ornait maintenant son front, il se rassit et bouda.

        « Bien, je vous disais donc que nous avions toutes les raisons de penser que la seconde tour fera très bientôt son apparition. Le passeur Cameri Hedera, sera sacrifié comme son père et les pères de ses pères, d’ici la fin de l’année au plus tard.

         – En quoi le sort de Cameri Hedera peut-il m’intéresser en ce moment ? demanda-t-il en évitant un maximum de croiser son regard. J’ai déjà assez de problèmes comme ça. Vous ne trouvez pas ?

         – Cameri doit assumer sa destinée, il faudra vous en assurer.

         – Pourquoi moi ?

         – Vous le savez très bien, rétorqua-t-elle froidement. Réah Marek

         – Je ne serai le larbin de personne, ajouta-t-il en crachant un bout de pomme à ses pieds.

         – Nous sommes arrivés, annonça-t-elle calmement. La voie est libre. Hâtez-vous maintenant, et n’oubliez pas ce que je viens de vous dire au sujet d’Hedera. Les choses seront ce qu’elles doivent être que vous le vouliez ou non. »

         Loukas la fusilla du regard. Comme d’autre il était revenu avec la tour par l’entremise de Khyyl, d’ailleurs Loukas n’était pas exactement son véritable prénom et il était bien plus qu’un explorateur. Un Waherlïn voilà ce qu’il était, Reah Marek serviteur de la cité d’Eïae carrefour des mondes et des temps gardée par sept tours dont la première était réapparu sur Terre. La cité était alimentée d’une part par Ircadès et d’autre part par des serviteurs voyageant dans le monde, les univers et le temps : les waherlïns. Ce que leurs yeux pouvaient voir, ce que leur mémoire enregistrait était directement connu, trié et mis en sécurité. Eïae se nourrissait de connaissances, la cité était comme une sauvegarde gigantesque de tout ce qui avait été, était ou serait. Quand elle fut détruite, son savoir fut transféré dans la sphère sculptée qui dormait dans le volcan et se trouvait maintenant en moi grâce à Khyyl et son âme fut emprisonnée.

         Sachant que les waherlïns avaient été capables de voyager dans le temps, il semblait logique que certains d’entres eux où leur descendants aient pu parvenir jusqu’à nous et les Surfaces et Affleurements Unis informées de ce fait par Khyyl s’étaient mises à leur recherche. Suivant ses informations, les ambassades avaient sélectionné et entraîné un groupe de personnes dotées d’un gène très rare pour ressusciter l’ancienne caste et en faire des waherlins avec l’espoir de récupérer le savoir d’Eïae. La première génération, dont l’espérance de vie ne dépassa pas dix ans, ne fut qu’une ébauche. La seconde vit augmenter ses capacités empathiques. La troisième commença à développer des caractéristiques proches de celle des waherlïns d’Eïae et fut psychiquement reliée à une centrale de donnée grâce à un mécanisme greffé sur leur bras et relié à leur cœur. Il fallut attendre la quatrième génération et l’intervention de Khyyl Harafem pour que des pseudos waherlïns sains et capables viennent au monde. Loukas, avait fait preuve de capacités encore inégalées : il se disait partout que le sang des waherlïns s’était réveillé. Il était le meilleur, l’aboutissement de décennies de recherches, l’élu entre tous. Cependant Loukas était plus qu’un pseudo waherlïn doué, il était l’un des esprits anciens et maudit d’Eïae. Khyyl avait ressuscité un authentique waherlïn et l’avait dissimulé parmi les autres. Reah Marek était ainsi devenu Loukas O’Meiry.

         Toute personne susceptible de connaître sa véritable identité en dehors de son cercle d’amis était une menace. Lou rangea Dame Kasan dans la catégorie : sujet sensible « à surveiller ». Il grommela des remerciements et se faufila à nouveau sous le carrosse sans demander son reste. Il adressa un bref et glacial salut militaire et disparut.

         « Heriom, appela Dame Kasan.

         – Oui, ma reine, répondit le cocher.

         – Nous allons restez ici le temps que O’Meiry quitte les lieux.

         – Bien, ma Dame. 

         – Ce waherlïn se comporte vraiment comme un enfant, espérons qu‘il se ressaisisse vite.»

         Lou connaissait l’ambassade par cœur, c’était sa maison et s’y faufiler sans être vu était l’une de ses spécialités. Il débrancha quelques fils et les raccorda à son propre système parallèle diffusant en boucle des images de couloirs vides et eut donc le loisir de reprendre un peu son souffle en se dirigeant vers le bureau d’Idaline. Les couloir étaient ornés de vieux tableaux, des paysages, des visages souvent anonymes mais dont les couleurs ou l’expression hantaient les lieux depuis si longtemps qu’ils en étaient devenus familiers. En tournant à droite et en s’engageant dans un autre couloir, Lou passa devant un grand miroir au cadre raffiné, incrusté d’ivoire, et réajusta le col de son manteau avant de l’épousseter symboliquement. Sa barbe le grattait horriblement.

         Sa dernière mission d’exploration n’avait d’autre but que de l’éloigner du centre nerveux et des décisions importantes auxquelles ils n’auraient sûrement pas manqué de s’opposer et il le savait. Mais il était trop précieux pour que les S.A.U s’offrent le luxe de le supprimer ou alors quelque chose d’autre au dessus de lui était en jeu. Il du trafiquer encore six caméra et quatre détecteurs de mouvements avant d’arriver devant la porte close du laboratoire d’Idaline. La conférence de Joseï venait de se terminer et il savait qu’elle était là, elle vivait dans le laboratoire. Dans le couloir des gens se rapprochaient.

         « Ida, ouvre ! Ouvre, c’est moi. Idaline ! appela-t-il en frappant de plus en plus fort. Idaline ! Ouvre cette foutue porte ! Ou sinon...Ou sinon ! »

         Les bruits de pas et de conversations se rapprochaient dangereusement. Le waherlïn, prit son élan pour enfoncer la porte mais celle-ci s’ouvrit au moment même où il allait la percuter. Une main le saisit par le col avant qu’il n’aille heurter le mur d’en face.

         Une ample tunique en percale bleue, brodée grossièrement de fils indigo dissimulait le corps rondouillard d’Ida. Type eurasien, la cinquantaine, Ida était encore belle et teignait ses cheveux mi-long et toujours retenu sur le côté par une sorte de bijou africain dans un noir cassis qui rappelait celui de ses yeux. Ses aides de laboratoire trouvaient qu’elle forçait toujours trop sur son rouge à lèvre, mais Loukas la découvrît pâle, sans fard, des larges cernes sous les yeux, les lèvres pincées.

         « Comment es-tu entré ? demanda-t-elle. J’essaie de te contacter depuis près de deux mois ! Tu es dans le registre, sais-tu ce que ça veut dire pauvre fou ?

         – Je ne passe pas par la case départ et je ne touche pas vingt mille francs, répondit-il avec un sourire.

         – Non, Lou. Cette fois, ils ne passeront pas l’éponge, soupira-t-elle contrariée.

         – Je suis unique, Ida. Unique ! Ils ne me feront rien...

         – Ah, ça oui ! Je ne te contredirais pas sur ce point, mais s’il prennent le risque de perdre tes données c’est qu’ils ont trouvé un substitut. Pourquoi es-tu venu jusqu’ici ? Tu ne crois pas qu’il aurait été plus sage de te faire oublier quelques temps. Et qu’est-ce que c’est cette odeur ? Tu empestes! »

         Loukas soupira et alla s’asseoir un peu plus loin. Poings sur les hanches, Ida le regarda avec étonnement poser son bras gauche, celui équipé du brachial, sur la table.

         « Il ne fonctionne plus, dit-il avec lassitude.

         – Pardon ?

         – Il est hors service, bougonna-t-il en secouant son attirail. Peu de temps après mon départ pour la mission d’exploration, j’ai eu des problèmes pour accéder à ma banque de données. J’ai supposé qu’une sorte de virus avait pris la main, que cela allait de pair avec l’embuscade qu’ils m’avaient tendue mais c’est autre chose.

         – Il n’y a pas de précèdent. Je comprend que tu aies voulu revenir, mais tu aurais du trouver un autre moyen de me joindre. Te jeter dans la gueule du loup comme ça, Lou... », le réprimanda-t-elle.

         S’asseyant en face de lui, Ida dégaina tournevis et clés qu’elle portaient en permanence à sa ceinture et observa l’encombrant brachial, complexe technico-organique qui se greffait sur le bras gauche de Loukas et le reliait à la centrale. Chaque waherlïn en possédait un mais celui de Loukas était incroyablement usé et rayé en comparaison. Légèrement avant le pli du coude, la peau du jeune homme était marquée de cicatrices profondes, comme autant de témoins de ses vaines tentatives pour se défaire de ce fardeau. Soudain, Ida eut un sursaut en voyant un rat sortir du manteau de Lou et venir courir sur ses épaules. Lou s’amusa un peu avec et dit :

         « J’ai su que les S.A.U me cherchaient grâce à ce rat que Feirn m’a fait parvenir avec un tract à mon effigie. Ensuite j’ai dû traverser le désert de Marech pour éviter leurs embuscades. J’ai voulu me diriger avec le brachial mais à chaque fois que j’essaie d’accéder à ma base de données j’ai des migraines à en perdre connaissance. C’est pour ça que je ne t’ai pas contacté et je suis désolé de t’avoir donné du souci.

         – Le principal c’est que tu sois en vie et que tu le restes. En attendant d’en savoir plus, j’aimerais que tu rejoignes l’Anachron quelques temps. Et que tu te rases aussi, tu as l’air d’un animal.

         – Chez Hedera ? s’étonna-t-il avant de protester. Je ne vais pas vous laisser ici, qui va t’aider ?

         – Lou, on tente de m’évincer afin que le contrôle des recherches me soit retiré. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils y parviennent ou qu’ils m’inscrivent dans le registre. Tôt ou tard je rejoindrais l’Anachron, dit-elle avec résignation avant d‘abattre sa dernière carte. J’ai appris qu’Arkhel Kailhann s’y trouvait, je pense qu’il plaidera en ta faveur, vous êtes amis si mes souvenirs sont bons. Tu pourras plaider notre cause.»

         Le rat s’immobilisa au sommet du crâne du waherlïn, Lou regardait son amie avec des yeux ronds: « Tu as perdu la tète ? Hedera hait les ambassades. Quant à Arkhel, il vaut parfois mieux éviter sa route, bougonna-t-il avant de s’écrouler sur la table, le regard lointain. Tu peux me croire… Alors tout ce temps, il était là-bas…»

         Le silence s’installa, ponctué du bip des machines du laboratoire. Lou appuyait sa tète sur son bras droit. Un jeune homme aux cheveux blonds, sortit d’une salle annexe du laboratoire et vint près d’eux. Ida, concentrée sur le brachial de Lou, lui donna des instructions.

         « Seyric, toi et Damia allez discrètement conduire Lou à l’Anachron, je dirai qu’il s’est attaqué à moi, qu’il vous a pris en otage et qu’il est devenu fou.

         – C’est lui O’Meiry ?demanda Seyric.

         – Oui, c’est lui, répondit Loukas d’une voix pâteuse.

         – Je pensais que vous dormiez. Ida m’a expliqué que vos yeux ne se fermaient jamais vraiment et que ... Mes excuses. Je suis Seyric. »

         Loukas soupira et reposa sa tête sur son bras sans plus prêter attention au nouveau venu. Il était perdu dans ses pensées, l’idée de côtoyer à nouveau Arkhel n’était pas un problème en soi, mais il savait ce que cela signifiait : les choses seraient ce qu’il était prévue qu’elles soient... Dame Kasan avait raison.

         Ida sortit et fit signe à Seyric de la suivre. Elle avait fait partie des premières expéditions inter-affleurements mais demeurait désormais, des journées et des nuits entières enfermées dans son laboratoire à cause de sa mauvaise santé. Elle étudiait de vieux dossiers poussiéreux pour qu’ils soient rouverts car au-delà des rumeurs, il y avait des vérités qui la hantaient. Ida luttait de l’intérieur et menait depuis des années une guerre sans relâche contre toutes les ignominies qui avait eu lieu ou avait encore cour. Son laboratoire était envahi par la pagaille et ressemblait à l’antre d’un alchimiste fou. Lou y passait les trois quart de son temps quand il n’était pas en train de préparer un sale coup ailleurs, c‘était un peu sa maison. De la terrasse, Ida jeta un regard mélancolique vers un arbre immense qui se dessinait au loin. Après l’apparition d’Aysenaleth, les racines de certains végétaux avaient malencontreusement effleuré le lit d’Ircadès et leur mutation avait donné naissance à d’étranges spécimens; celui-ci était gigantesque et on l’avait surnommé le Titan de verre. Trois de ses semblables se dressaient dans la cité. L’écorce conservait un aspect de mousse caoutchouteuse sur plusieurs centimètres. Fins et sinueux, peu de feuilles. Celles-ci étaient transparentes et ne tombaient jamais quelle que soit la force du vent qui pouvait les secouer ; et puis la nuit venue elles restituaient faiblement la lumière captée durant la journée. Continuellement agité par une petite brise, le feuillage tintait d’un son cristallin et berçait la ville en permanence.

         Idaline, elle, ne pouvait s’empêcher de broyer du noir, Seyric savait ne pas lui être d’un grand secours mais il faisait tout son possible. Perdu lui aussi dans la contemplation des Titans, il n’entendit pas Damia arriver derrière eux.

         Deux cent ans après l’éveil d’Aysenaleth, au-delà des statistiques et bien loin des diplomates, dans la vraie vie, défilait une quantité toujours croissante de gens « nouveaux ». Les peuples se mélangeaient donnant progressivement naissance à d’autres formes de vie et Damia Eiquem en faisait partie. Le monde de l’extérieur fascinait l’adolescente, jamais la vie et la biodiversité n’avait eu autant de présence et de pouvoir, c’était l’avènement d’une ère nouvelle, d’un âge d’or et cela lui donnait du courage. Ainsi Damia voyait son monde là où sa mère, elle, ne voyait qu’un mélange chaotique de choses et de gens qui ne se sentaient ni d’ici ni d’ailleurs : une bombe à retardement prête à leur exploser à la figure. Ida savait que beaucoup de ces «nouveaux » étaient soustraits à la vie civile pour être étudiés, testés, disséqués, torturés, que chacun d’eux était fiché, c’est contre cela qu’elle se battait, pour que les expériences cessent.

         « Maman, qu’est-ce que Loukas fait ici ? Il ne savait pas qu’il était dans le registre ? Avez-vous pu lui parler du journal que nous a remis la femme aux cheveux vermillon ?...demanda la jeune adolescente réplique miniature de sa mère.

         – Son brachial ne fonctionne plus, ma chérie. Lou est en danger et nous allons devoir agir vite; quoiqu’il en pense, les camera l’ont certainement repéré. »

     ILLUSION    Au sommet d’une coupole religieuse, non loin de l'un des arbres fantastiques, Fauste retira ses lunettes à vision lointaine pour les remplacer par des solaires communes et contempler le soleil couchant sur la ville. Elle n’avait rien perdu de la réunion menée par Joseï et encore moins du retour du waherlïn. Des effluves de nourritures montaient de la rue. Un vol d’oiseau arriva dans son dos, la dépassa en la frôlant et se perdit à l’horizon. La cité avait été colonisée par des parasites microscopiques qui recouvraient toutes les structures d’une fine couche couleur de bronze et qui leur valait le nom d’« Aes ». Après plusieurs décennies certains quartiers étaient devenus entièrement monochromes. La lumière était dorée, apaisante, Quelques secondes encore et le soleil disparut dans la mer, ne laissant plus au loin qu’une bande de ciel couleur de feu.

         Silhouette liquide aux reflets de bronze, l’un Aes émergeât du dôme jusqu’à la taille et tendit la main à la jeune femme qu’il guida galamment sur la courbure de la coupole. Il la fit passer au-dessus du vide et glissa gracieusement avec elle le long de la façade. Touchant terre, la jeune femme dont les cheveux vermillon flamboyaient comme un éternel couché de soleil, esquissa une courbette élégante. Ses lunettes tout juste fumées laissaient deviner de grands yeux clairs. Sa silhouette était harmonieuse et puissante, sa démarche féline. Le chant des arbres l’enivrait, rendait son pas encore plus léger et elle s’éloignait, songeant déjà avec délices à ses prochains raids. Flânant au milieu des badauds, Fauste n’avait plus qu’à attendre que la nuit vienne pour porter son prochain coup mais tout comme Loukas elle savait que bientôt les choses allaient changer.







        


    17 commentaires
  •  

      
    PETIT PASSAGE PAR L'ANACHRON, CHEZ CAMERI, PASSEUR MAUDIT . C'EST LE CALME AVANT LA TEMPETE, CAR BIENTÔT L'ANACHRON SERA PRIS D'ASSAULT !
    ATTENTION, L'ENDROIT REGORGE DE SURPRISE ET Y VIVRE PEUT SE REVELER DANGEREUX !

     

     

     

        cameri dans la bibliotheque La géographie du monde avait quelque peu changé depuis deux siècles mais elle restait, en dehors des bouleversements climatiques et politiques, encore relativement reconnaissable.

     

         Le globe avait été re-découpé en plusieurs zones de tailles assez disparates en fonction de la concentration de population et non des frontières. Dans l’hémisphère Nord principalement cerné de désert, ne se trouvait qu’une seule grande zone et dans cette zone regroupant plusieurs cités une seule dépassait tout juste les cent mille habitants : la cité 0125.

         Automobiles et autres véhicules individuels avaient presque totalement disparu de la circulation, on s’y déplaçait en underbus, en train ou en métro. Tous ces réseaux souterrains avaient vidé les rues et les avenues des feux rouges, panneaux de signalisation, marquages au sol, garde-corps et potelets disgracieux en dehors de quelques artères principales où circulaient encore quelques antiquités bruyantes.

     

         La cité faisait face à l’océan et on pouvait voir depuis ses quais, l’ombre de l’île dévastée et de sa tour se découpant à l’horizon. A quelques bâtiments de là, dans un quartier industriel un peu sulfureux mais pas des plus dangereux se dressait le fameux Anachron. Les Aes qui donnait cette couleur cuivrée à la ville, n’avaient pas épargné sa façade de brique qui s’élevait sur trois étages entre deux hangars désaffectés.

         Tandis qu’à l’ambassade Nord, Joseï tentait de convaincre son auditoire du danger que représentait le passeur de l’Anachron, ce dernier se balançait tranquillement chez lui sur un rocking-chair métallique grinçant installé près de la fenêtre principale du rez-de-chaussée au beau milieu de la petite salle de bar encore vide.

         Cameri allait sur ses trente deux ans, de taille moyenne, le teint halé, les cheveux noirs et balayés en arrière, une silhouette avenant et souvent vêtu de sombre, il n’avait rien de bien terrifiant sauf peut-être l’expression de démence qui passait parfois dans ses yeux noirs. Mais ce jour là dans ses yeux qui scrutaient attentivement la rue et la cour intérieure derrière les vitraux qui laissaient entrer des flots de lumière, ne se lisait qu’une profonde déception. Dans un coin, sur une caisse de bois restaurée grossièrement, un vieux gramophone couleur d’or et d’ivoire, jouait presque en sourdine un vieil air de rock psychédélique.

         Le comptoir et les tables zingués avaient été lustrés, une seule table avait été dressée avec une nappe blanche et quelques gâteaux secs, mais tout ça n’était qu’une apparence. Outre les appartements de Cameri situés en face la petite salle de bar, l’Anachron s’étendait sur plus de cinq cent mètres carrés accessibles aux seuls habitués qui s’y trouvaient préservés de l’ambassade et de ses agissements douteux.

         Après l’apparition de la tour et les caprices d’Ircadès, les nouveaux venus égarés de toutes races, espèces et genres confondus y avaient trouvé refuge. L’Anachron était très ancien et s’était intégré à la ville au fur et à mesure de sa construction. Son existence remontait à la nuit des temps.

         Aujourd’hui la passe restait une véritable légende mais le monde s’était pacifié, son utilité avait décliné et Cameri restait le gardien d’un lieu de légende et de mystère qui bientôt serait son tombeau. Pour autant, il n’était pas prêt de capituler devant la malédiction qui le menaçait car il avait une piste, des indices et même un début de solution. Il ne lui manquait plus que les bonnes personnes.

         Comme Joseï, il s’intéressait de près à Fauste et elle était la prochaine sur sa liste. Malheureusement, elle ne lui facilitait pas la tache et restait insaisissable.

         Seulement voilà, elle ne passa pas la porte d’entrée ce jour là comme il l’espérait.

         Il avait la certitude que cette fille faisait partie de la solution qui lui permettrait d’éviter le tragique destin qui l’attendait. Le temps lui était compté et ce nouvel échec le mettait sur les nerfs.

         Comme ses parents et la quasi-totalité de ses ancêtres, il était voué à côtoyer le drame de près. La seule indication que possédait la famille Hedera, en plus de l’histoire de l’Anachron lui-même, était une phrase dont elle avait fait sa devise : « Réunir et lier les égarés ».

         Le père de Cameri avait fait de nombreuses recherches sur la malédiction et la devise de l’Anachron et avait légué à son fils unique de nombreux carnets retraçant ses découvertes.

         Au fil du temps, Cameri était arrivé à la même conclusion que son père, à savoir que « les égarés » désignait en fait les Esprits anciens seuls survivants d’Eïae et il s’était alors mis en tête de s’entourer de personnes susceptibles de l’aider dans sa quête. Hélas, le seul de ces Esprits anciens qu’il avait pu débusquer jusqu’à présent était Arkhel et il était venu de son plein gré.

         Quelques temps avant sa mort, le père de Cameri avait repéré un autre esprit ancien, une femme dont il donnait une description assez précise : regard vert d’eau, pupilles vert sombre, cheveux vermeils, peau irisée. Fauste correspondait à cette description si ce n’est pour la peau, détail que Cameri n’avait pas pu vérifier faute d’avoir pu l’approcher d’assez près. Bien qu’il la jugea trop jeune pour être la femme dont son père avait suivi les traces, il disposait à l’Anachron de grimoires et autres vieux bouquins dans lesquels se trouvaient des textes décrivant exactement de la même façon les descendants des seigneurs d’Elsayaën, enfants d’Ircadès. Il en avait donc conclu que Fauste en faisait forcement partie et donc était un Esprit ancien, dommage que la convaincre de se joindre à l’Anachron ne soit finalement pas à l’ordre du jour. Cameri avait pourtant tout essayé y compris faire jouer son vaste réseau de connaissances, c’est ainsi que l’un de ses informateurs lui avait assuré connaître un moyen de la contacter - moyennant quelques billets - Cameri avait tenté le coup et attendait ce jour même une visite de la jeune femme.

          Quelque part dans l’Anachron, troublant cette fin de journée paisible, un bébé pleurait. Cameri laissa le vieux reflex pendouiller lourdement sur sa poitrine et arrêta de se balancer. Il se leva en soupirant bruyamment et se dirigea vers le comptoir, boitant légèrement et se déplaçant avec une certaine lourdeur, le passeur laissait sur son passage une odeur d’after-shave à deux sous.

         L’air embaumait, la cannelle, la cire d’abeilles, le musc et l’alcool doux. Un peu partout sur les murs, tout étage confondu, s’étalaient les clichés du patron, rarement encadrés, tout juste collés ou simplement punaisés. Mais malgré tous les efforts de Cameri, il flottait encore quelque chose de sombre, mystérieux et un peu glauque dans l’atmosphère.

         Le gramophone crépitait dans le vide, le tic-tac du balancier d’une grosse horloge art nouveau emplissait l'air tandis que le plancher craquait sous ses pas irréguliers du passeur. Cameri eut juste le temps de se servir un verre avant les pleurs lointains de l’enfant ne redoublèrent d’intensité. Il reposa sa coupe sur le comptoir, le regard vague. L’enfant, un petit garçon tout juste né et nu comme un ver avait été abandonné sur le pas de sa porte il y a trois mois et sa mère demeurait introuvable malgré les recherches que le passeur avait entreprises. Arkhel avait insisté pour ne pas lui donner de nom mais le passeur maudit avait fini par le baptiser Gabriel. Résigné à ne jamais avoir ni femme, ni enfant dans l’espoir vain que la malédiction s’arrête avec lui, il niait farouchement s’être attaché au bébé mais en vérité, à peine l’avait-il découvert sur le seuil de l’Anachron et l’avait il pris dans ses bras qu’un lien profond s’était crée entre eux.

         Cameri attendit un peu espérant que Gabriel se calme de lui-même, mais il n’était pas le seul enfant de la passe à gérer, discrètement une fillette de six ans environs sortit d’une pièce voisine. Elle avait de longs cheveux blonds tressés et de jolis yeux sombres, elle s’appelait Hediy. Son père, un magicien vivait également à l’Anachron mais disparaissait régulièrement plusieurs semaines. Sous les yeux de Cameri, Hediy traversa la pièce sur la pointe des pieds en retenant un rire, ses cheveux et sa robe pleins de farine. Le passeur grommela quelque chose et leva les yeux au ciel avant de se resservir un verre.

         De mauvais poils et frustré, Cameri prit la décision de ne pas ouvrir le bar. Il quitta le comptoir de la petite salle pour se rendre à la cuisine située juste derrière et constata les dégâts qu’Hediy avait causés : de la farine et de la pâte du sol au plafond et un moule débordant dans le four. Le passeur arreta le programme de cuisson automatique puis s’occupa de charger un plateau avec le nécessaire pour Gabriel: biberon, lait, etc.

         En repassant par la petite salle de bar, il prit une bonne bouteille de vieux whisky pour lui et les bras chargés, gagna ses appartements.

         Cameri traversa son salon et se rendit directement à la bibliothèque mitoyenne de sa chambre et de celle de Gabriel. Le bébé pleurait toujours, Cameri posa son plateau sur un guéridon et boita jusqu’au berceau. Dès qu’il l’entendit arriver Gabriel se tut et se mit à gazouiller, ses cheveux bruns déjà long pour son âge et ses grands yeux bleus lui donnai un air désarmant qui chassa vite la mauvaise humeur de Cameri. Le passeur le prit volontiers dans ses bras et l’emmena jusqu’à la bibliothèque où il s’installa avec lui dans un grand fauteuil.

         Gabriel vida son biberon d’un trait, Cameri ne s’était jamais occupé d’enfant avant lui mais il s’en sortait très bien. Ce qu’il gérait avec moins de brio c’était sa propre situation.

         Une fois l’enfant rassasié, Cameri le cala sur l’un de ses bras et entreprit de se servir un verre de sa main libremais un frisson glacé l’arrêta. Suspendant son geste, il attendit, puis soudainement un livre se délogea de la bibliothèque et traversa la pièce pour atterrir à ses pieds.

         « Ok, soupira Cameri. Voyons voir... « La Tour » ? Je l’ai déjà lu celui-là », se moqua-t-il.

         Le livre s’ouvrit sans même qu’il l’ait touché et s’arrêta sur la dédicace de l’auteur.

         « « A Iselaure et tous les autres disparus... « ».

         Cameri termina de se servir et bu une grande gorgée avant de chasser le livre du pied.

         « Pour une fois ce serait bien que vos coups de pouce, cher ami invisible, me concerne moi. Que voulez-vous que je fasse pour l’expédition perdue ? Ils sont entrés dans la tour les premiers et ils y sont restés c’est malheureux mais c’est ainsi. Où qu’ils soient ça fait deux siècles et ils... »

         Quelque chose frappa deux grands coups et une dizaine de livres se mirent à traverser la pièce.

         « Eh, au cas ou vous n’auriez pas remarqué, il y a un bébé ici ! », protesta le passeur.

         Le phénomène cessa, seul un carnet atterrit au pied du passeur qui ne prit pas la peine de le lire et se servit un second verre.

         « Levez-moi cette malédiction, ensuite je sauverai qui vous voulez », grommela-t-il.

     

     


    14 commentaires



  • PAS DE CONNEXION INTERNET POUR DIX JOURS, ALORS VOILA UN PETIT BOUT DE TEXTE. A TRES VITE !



         Eylis Mara était une jeune femme brune d’environ vingt quatre ans, mince et assez mignonne, le visage couvert de taches de rousseurs. Elle était d’un peuple souterrain qui ressemblait au nôtre. Ni supers pouvoirs, ni capacités physiques hors normes, pas de coutumes étranges ou immorales, un affleurement somme toutes assez banal. ILLUSIONEylis avait eu le privilège d’être initiée un peu à la magie et l’avantage d’être une véritable bibliothèque ambulante. Elle assistait les ambassades dans leurs recherches, voguant d’affleurements en affleurements, collectant des infos, apportant des précisions nécessaires sur le terrain. Son aptitude à toujours tout remettre en question avait attiré l’attention d’Ida qui en avait fait l’un de ses meilleurs agents doubles. Sa nouvelle mission consistait à rejoindre l’Anachron dès que possible, afin de préparer le terrain avec Örj, un soldat de Caram, et définir rapidement si un repli discret était envisageable. Elle ignorait encore que la traque lancée sur Lou O’Meiry avait bousculée les choses.

         Eylis remontait vers la surface par une circulation piétonne. Le plafond était haut, tantôt effondré, tantôt recouvert de plantes diverses trop éparses pour obturer parfaitement le soleil dont quelques rayons étaient parvenus à se frayer un passage. Les murs de pierres sans âge témoignaient du passage de l’homme à différentes époques. Une ancienne mine par-ci, puits asséché ou glacière centenaire par-là, le tout recouvert par endroit d’une croûte de béton épaisse et parfois même de tags du temps où les autorités en surface avaient de faire de ce coin là une station métro. Eylis avait passé les dernières semaines dans un trou à rat avec toute une clique de scientifiques de l’ambassade pour explorer un pseudo site archéologique. Heureusement, Idaline l’avait rappelée et à en croire son message des choses importantes étaient en jeu. Eylis avait hâte de rencontrer Cameri.
         La famille du passeur ayant toujours montré une capacité hors normes à se trouver là où il ne fallait pas, au moment où il ne fallait pas, et à fourrer son nez partout en dépit de la bonne étiquette et de toute prudence, elle s’attendait à un certain remue-ménage. Mais il y avait une ombre au tableau : Arkhel Kailhann. Dragon sans terre ni lois, grand guerrier et fin stratège, créature dangereuse et cruelle aux yeux d’Eylis, se trouvait lui aussi à l’Anachron et elle s’en serait bien passée. Elle l’avait rencontré une fois, un jour où elle servait d’interprète pour une assemblée, Arkhel Kailhann était avec le mage. Il fallait bien un mage aussi taré que l’avait été Khyyl, pour rechercher ainsi la présence d’un dragon, gardien de l’équilibre certes, mais au combien misanthrope. C’est ainsi qu’elle percevait les choses et avait bien noté que le dragon faisait plus que de surveiller les arrières du mage. Il écoutait, comprenait tout ce qui se disait, suivait les conversations avec beaucoup d’intérêt et donnait même son avis si Khyyl le sollicitait.
         Tant qu’il fut au service du mage Arkhel ne quitta pas une seule fois son apparence humaine, beaucoup finirent par se laisser amadouer et oublièrent la bête tapie en lui. Grand mal leur prit car, avait on dit à Eylis, le dragon avait manipulé le mage et ses proches, ses élèves et l’ambassade. Tous. Puis il avait tué Khyyl.

         Pour tout vous dire, ce qui s’était réellement passé le soir de la mort du mage demeurait pour elle comme pour tous, un mystère complet mais les preuves étaient contre Arkhel, pour cela il avait été banni de l’ambassade. Le prix pour sa tète était faramineux et avait de quoi faire saliver plus d’un mercenaire mais pour s‘attaquer à lui il fallait aussi être plus que dément, alors il continuait d’aller et venir librement.

         Eylis arriva dans une zone carrefour où se trouvait une forte concentration de porte affleurement. Fines couches de gelées transparentes et légèrement argentées, il y en avait dans tout les sens, elle en frôla quelques unes avec précaution. La plupart s’étalaient sur des éléments palpables, un mur ou un rocher, mais quelques unes dérivaient en plein milieu du chemin. Parfois selon la luminosité des lieux on pouvait les traverser sans s’en rendre compte et se retrouver par hasard dans un autre zonage, certains peuples n’appréciant guère ce genre d’intrusions mieux valait s’en garder. Bien évidement, il fallait un permis pour pouvoir se déplacer ainsi en sous-sol.

       La jeune femme perdue dans ses pensée esquiva l’un de ces affleurements mobiles de justesse et trébuchant se heurta à un militaire en uniforme sortit de nulle part. C’était l’un de ces soldats si parfait, parfaitement immobile, parfaitement obéissant et silencieux comme la mort. Parfait. Se confondant en excuses, elle nota qu’il n’était pas seul. C’était un détachement d’une quinzaine de soldats, encadrant huit blouses blanches affairées comme des fourmis. Il arrivait que des créatures peu fréquentables se risquent dans les couloirs souterrains mais alors une alarme se déclenchait et une armée de gardes surgissait. Or si elle n’avait pas entendu de sonnerie. Un kaferio traînait peut-être, crevant de faim, mais enlever leur proie en silence n’était pas dans leurs habitudes.

          « Eylis Mara! s’écria soudain un militaire haut gradé. Vous tombez bien votre aide ne sera pas de trop. Est-ce le commandement qui vous envoie ? demanda-t-il en lui faisant signe de le suivre.

         – Non, je reviens d’une autre mission.

         – Si nous l’avions su nous vous aurions escorté ce n’est plus très fréquentable par ici, la zone n’est plus sécurisée.

         – Que craignez vous exactement ?

         – C’est difficile à dire, mais il y a eu plusieurs disparitions inexpliquées.

         – Depuis quand cela dure-t-il?

         – Près d’un mois et la fréquence des disparitions augmente, miss Mara. Vous trouverez le docteur Feirn là-bas, je pense qu’il sera plus qu’enchanté de vous voir.

         Auguste Feirn l’attendait les bras croisés avec un air réprobateur. Eylis se dirigea vers lui en soupirant, elle avait hâte de rencontrer Cameri Hedera mais plus que tout elle souhaitait rejoindre la surface. Auguste Feirn allait sur ses quarante cinq ans mais paraissait plus jeune à cause des ses vêtements et de sa silhouette filiforme. Il avait les cheveux roux et poivre, tombant à peine plus bas que ses épaules dans un enchevêtrement ondulatoire chaotique. Ses joues étaient creuses et le gris de ses yeux, terreux. Ses longs doigts, jaunis par le tabac, courraient à toute allure sur le clavier. C’était un homme un peu mou qui sentait la fumée refroidie et l’eau de Cologne. Il avait eu une femme un jour et aujourd’hui leur divorce le saignait à blanc, détruisait son sommeil et sa santé. Il n’était pas aigri pour autant juste un peu misanthrope. Eylis avait déjà eu l’occasion de travailler avec lui et le tenait en grande estime. Malgré les apparences cela était réciproque.

         – J’hésitais à te porter une tasse de thé, ‘Lis, gronda-t-il.

         – Bonsoir Feirn ou bonjour, je ne sais plus trop.

         – Tu sympathises avec l’ennemi ? lança-t-il en lui mettant sous le nez les derniers relevés dont quelques feuilles s’envolèrent au passage.

         – Auguste, je n’ai pas discuté plus d’une minute, pourquoi es-tu d’aussi mauvaise humeur ?

         – Il y a un problème avec les affleurements mais je suppose qu’IL te l’a dit.

         – J’en ai croisé quelques uns et je n’ai rien remarqué.

         – Oui. Les relevés n’indiquaient aucune variation imprévue. Chaque porte était bien à sa place habituelle et, après vérification, donnait bien sur son propre monde. Pourtant, poursuivit Feirn, l’enregistrement témoigne bien des disparitions. 

         Eylis constata que les soupçons de Feirn étaient fondés, la vidéo montrait des affleurements effectuant des mouvements anormaux, s’étirant comme des tentacules doublant ou triplant soudain de taille puis retournant à leur état primaire avant de recommencer. Encore des gens que je ne pouvais malheureusement pas aider. C’est pesant vous savez...

         Cette instabilité des affleurements était la preuve qu’Ircadès était toujours polluée par le fléau et cela signifiait que nous n’avions plus beaucoup de temps pour agir. Il nous fallait libérer Ircadès ou mourir avec lui. Eylis, aussi intelligente soit-elle, ne pouvait pas comprendre mais elle sentait que cela était très préoccupant.

         « C’est très étrange en effet, concéda-t-elle.

         – Identifiez les victimes, Docteur, ordonna son supérieur militaire qui les avait rejoint et regardait par-dessus l’épaule d’Eylis. Maintenant que Miss Mara et là vous devriez aller plus vite.

         – Vous me demander un miracle. Allez donc faire brûler un cierge vous serviriez à quelque chose.

         – Identifiez-les c’est un ordre. Et faites le ici et maintenant, c’est compris ! »

         Feirn prit son air renfrogné mais obéit, il aurait plus de chance de réussir au calme dans son labo avec tous ses appareils. Mais ça les militaires ne pouvaient pas le comprendre, alors il éplucha l’enregistrement images par images tout en chuchotant à Eylis.

         « Miss Eiquem t’as rappelé n’est-ce pas ? chuchota-t-il. C’est dommage, on aurait bien besoin de toi ici. Es-tu au courant pour O’Meiry?

         – Qu’a-t-il encore fait celui là ?

         – Il vient de passer dans le registre noir.

         – Non ?!

         – Moins fort. Il a réussi à remonter sans qu’on le remarque, il est malin comme un rat.

         – C’est un rat, rétorqua-t-elle sèchement tandis que Feirn tout à sa recherche continuait de donner des ordres à ses laborantins.

         – Ce que tu peux être rancunière.

         – Je ne suis pas rancunière, Feirn.

     –     Tiens, tu vois on obtient toujours les même courbes, elles ne varient pas je pense que le problème ne se trouve pas ici. Nous faisons erreur. »

         Les soldats arpentaient toutes les galeries proches, prêts à agir au moindre mouvement suspect. Le rythme effréné avec lequel le docteur Feirn frappait les touches s’interrompit soudain et il fit signe à Eylis de tendre l’oreille elle aussi. Le silence que cela engendra parvint jusqu’aux oreilles du militaire.

         « Où est Lise ? demanda Feirn.

         – De qui parlez-vous ?

         – Lise Daniel. Une de mes laborantines, je ne l’entends plus. »

         Les laborantins la cherchaient du regard. Feirn, lui, avait toujours les yeux rivés sur son écran, les mains suspendues au-dessus du clavier. Jamais il ne criait, sa voix était très monotone était presque un murmure, malgré cela sa panique était palpable.

         Lise Daniel ne fut pas retrouvée ce jour-là, ni jamais. Une prise vidéo annexe confirma sa disparition, absorbée par un affleurement. Une de moins.

         « Vous vouliez une victime identifiable ? Vous l’avez maintenant ! hurla le docteur en écrasant son portable. Quinze soldats pour huit scientifiques ! C’était pas compliqué non!

         – On remonte, ordonna le commandant.

         – Comment ça on remonte? Il faut chercher Lise! Lise! Lise Daniel!

         – Vous savez pertinemment que nous ne la retrouverons pas, nous rentrons pour analyser tout ça et nous attendrons les ordres, docteur!

         – Eylis ne les laisse pas faire! Dis leur toi! »

         Un coup de seringue dans la nuque le fit taire. Eylis ne fit rien, contre tout ce monde elle était impuissante. Idaline en aurait vent, c’est tout ce qu’elle pouvait faire songea-t-elle tristement en dissimulant un disque qu’elle venait de voler da    ns l’ordinateur.

         « Evitez de traîner dans les affleurements jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle Miss, avait lancé un des soldats quelques instants plus tard alors qu’ils arrivaient près de la surface.

         – Vous ne voulez vraiment pas qu’on vous raccompagne à l’ambassade ? lui demanda un autre.

         – Merci, je suis en permission, je vais prendre un bus et me rendre en ville, voir de la famille. »

         Elle avait regardé les camions s’éloigner un instant. Elle n’était pas encore à la surface même si cela y ressemblait, c’était un hall de transition souterrain. Le ciel n’était qu’une illusion de plus tout comme l’horizon qui paraissait si lointain, d’ailleurs les camions disparurent avant de l’avoir atteint, traversant une porte invisible à l’œil nu. Eylis sentait sa haine des S.A.U grandir un peu plus chaque jour mais qu’y pouvait elle ? Elle n’avait pas la force de caractère d’Idaline. Eylis était lasse pourtant il lui fallait marcher encore un bon quart d’heure pour atteindre le quai à partir duquel elle remonterait à la surface. Elle se mit en route sans plus tarder. Sous ses pieds, le sable se parsemait d’herbes de plus en plus drues, preuve qu’elle approchait de la surface véritable. L’air devenait aussi plus léger et plus frais.

         « Vos papiers s’il vous plait, lui demanda d’une voix monocorde un soldat plus tout jeune.

         – Eylis Mara, répondit elle en les lui tendant.

         – Bien, ça m’a l’air en règle tout ça, annonça-t-il tout haut avant de chuchoter discrètement, désolé ‘Lis, le protocole. »

         Perdue dans ses pensées, elle ne répondit pas et prit place sur un des bancs du quai.

         Cet endroit la laissait toujours mélancolique, émergeant à peine du sol le dôme vert pâle de cristal magnétique ressemblait à une bulle coincée dans le bitume. Le cristal magnétique oscillait légèrement suivant les vibrations de son cercueil de béton et pour le voyageur assis dessous donnait au ciel une couleur d’aurore boréale. C’était un spectacle de toute beauté mais dont la seule raison d’être consistait à filtrer les entrées. Ce dôme vert, si le danger se présentait, pouvait se recroqueviller sur lui-même et se faire dur comme du diamant. Il était le dernier rempart contre les intrusions malvenues.

         Si paisible et si dangereux à la fois. Si beau et si cruel. Combien de ses dômes activés par mégarde s’étaient refermés sur d’innocentes victimes. Eylis balançait ses pieds au-dessous du banc essayant de ne pas se laisser gagner par la mauvaise humeur mais c’était peine perdue. Le long, très long banc de bois était jonché de journaux abandonnés arborant, en première page, le visage d’un homme brun aux yeux teinté de rouge et titrant en gros caractères « RECHERCHE O’MEIRY »

         « Recherchons Lou O’Meiry ! scandait la radio d’accueil.

         « Cet homme est dangereux » Ajoutait un panneau lumineux.

         Le concerné était ballotté dans une camionnette avec Seyric et Damia, et il n’était guère de meilleure humeur. Ils avaient eut presque plus de mal à sortir que lui à entrer et ça l’agaçait. Seyric conduisait en silence mais il ne pouvait en être autrement, la jeune Damia parlant pour quatre ou cinq personnes. Elle faisait une véritable fixation sur ce carnet.

          Ils roulèrent deux bonnes heures au moins, le temps d’une bonne migraine, avant que Seyric ne se décide à ralentir. Il ne le fit pas de bonne grâce : un barrage imprévu les attendait. Un gros barrage. La vitre sombre qui séparait le conducteur des passagers, se baissa en silence et laissa apparaître les cheveux blonds de Seyric.

         « Damia. Appelez votre mère nous risquons d’être repérés, demanda-t-il. »

         Lou avait glissé de lassitude dans son fauteuil depuis déjà une bonne heure et ne parvenait plus qu’à grande peine à répondre aux questions de Damia. L’arrêt brutal le tira tout juste de sa torpeur. Avec un calme et un sang-froid qui impressionnèrent le waherlin, la jeune fille activa l’écran, passa en mode sécurisé et fit ce que Seyric lui avait demandé. Lou se leva alors et risqua un œil par la vitre pour constater le problème.

         « Ça va aller, dit Seyric. Il y a un bon quart d’heure de queue, on va devoir se débrouiller avec. Il fait nuit et il commence à pleuvoir, je ne crois pas qu’ils s’intéressent à nous.

       Fauste bois du nord   – Oh, ça va. Je n’ai pas besoin d’être rassuré. J’ai connu pire, rétorqua O’Meiry en prenant appuis contre la paroi. Qu’est-ce qui peut-être pire que de figurer dans le registre noir de l’ambassade, bougonna-t-il.

         – Etre dans le mien ! Lança Fauste. »

         La jeune femme venait de se glisser du toit sur le siège passager et menaçait le conducteur avec une lame. Seyric crut que son cœur allait lâcher. Loukas, lui, sauta sur place en poussant des cris de joie.

         « Lou, qui est-ce ? Que se passe-t-il ?s’inquiéta Damia.

         – T’inquiète pas, prit-il le temps de dire avant de s’adresser à la nouvelle venue. J’aurais dû me douter que tu me laisserais pas dans le pétrin. Enfin tu es revenue!

         – Ne rêve pas trop, waherlin, j’ai mes intérêts dans cette histoire. »

         Fauste tenait toujours Seyric en joue. Celui-ci hésitait entre audace et terreur devant ces yeux vert qui le fixaient jusqu’au plus profond de son être et le paralysait. Lou qui n’arrivait pas à passer la tête entièrement par l’ouverture lui vint en aide.

         « Laisse-le. Il est avec Idaline Eiquem, il m’aide à rejoindre l’Anachron.

         – T’es pas assez grand pour le faire tout seul ? lui répondit-elle en rangeant sa lame comme si de rien n’était.

        – Ils ont mis ma tète à abattre ! Qu’est-ce que j’y peux ?

        – Je suis au courant et d’autres de rejoindront très vite.

         – Que sais-tu à ce sujet ?

         – Rien que tu n’ais besoin de savoir pour l’instant waherlin. » 

         Seyric dévisageait la jeune femme comme s’il voyait une apparition, ses cheveux n’étaient plus tout à fait attachés et tombaient en mèches sur son visage mouillé, des mèches vermeilles. Et ces immenses yeux vert pâle, qui pourtant ne le fixaient plus, le captivaient peut-être encore d’avantage. Il y voyait une lumière irréelle comme celle que l’on surprend parfois dans les yeux d’un chat la nuit.

         « Où as-tu eu ce carnet ? Demanda soudain le waherlïn. Dis-moi que c’est une blague.

         – Je vais faire diversion. Vous laissez la camionnette ici.

         – Mais il pleut ! protesta le waherlïn.

         – Et tu sens le bouc, ça ne te feras pas de mal.

         – La ville est à dix kilomètres au nord, lança Damia qui tentait de voir quelque chose.

         – Une fois qu’ils s’apercevront que la camionnette est vide, ils seront sur nos pas, dit Seyric.

         – Je serai sur les leurs. Tenez-vous prêt. » 

         Agile comme un félin, elle se faufila de nouveau sur le toit et disparut dans la nuit.

         Seyric leur ouvrit la grande porte latérale et leur fit signe de descendre. Une forte lueur aveugla tout le poste. Sautant à terre, ils prirent la direction des bois du Nord. Courrant à toute allure dans les ronces et les taillis glissant, dans la boue et sous la tempête qui s’annonçait, ils confièrent leur fuite à l’ombre des cieux en colère et à l’étrange Fauste.


    5 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique