• ILLUSION

    ARKHEL KAÏLHANNN est un Talën, il possède plusieurs apparences car il est à la fois humain et dragon. Il peut recouvrer sa forme animale complète ou partielle quand bon lui semble sauf qu'il n'en a pas le droit, ayant été banni par les siens et condamné à vivre comme un homme dans le monde des hommes.

    Après avoir loué ses services au mage Khyyl Harafem pendant quelques années, il rejoint l'Anachron et de lie d'amitié avec Cameri Hedera. Accusé par l'ambassade Nord d'avoir assassiné Khyyl, Arkhel evite de se balader à visage découvert dans la journée et ne sort que pour escorter Cameri.

    Arkhel est également ami avec Loukas et entretient une relation complexe avec Fauste.
    Cette relation est l'une des clés de l'histoire, car comme Loukas et Fauste, Arkhel est un esprit ancien.

    Généralement posé et limite pantouflard, il est affaibli par l'interdiction de recourir à sa forme animale, le dragon en lui meurt à petit feu.
    Particulièrement efficace, il ne se bat que contraint et forcé ( notament par Cameri qui cumule les catastrophe)

    Arkhel perd très vite tout son calme face à Fauste car sa présence réveille chez lui des blessures profondes. Mais convaincu d'avoir raison, il ne la perd jamais de vue très longtemps au mépris de sa propre santé ne manquant aucune occasion d'essayer de la convaincre de revenir vers lui.

    En dehors de sa fonction de garde du corps de Cameri et de videur de l'Anachron, Arkhel sert souvent de nounou aux enfants de l'Anachron qu'il adore.


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        hall de l'anachron                                                          

      Eylis avait regagné la surface. Il pleuvait, elle du forcer le pas d’autant que le quartier des quais désert n’avait rien de rassurant sous cette mini tempête. Malgré son appréhension elle poussa  la porte d’entrée de l’Anachron avec un certain soulagement. Une petite fille aux cheveux blonds couverts de farine, la regarda avec des yeux ronds avant de prendre la fuite en riant. Des enfants dans l’Anachron, c’était surprenant mais plutôt rassurant, le hall d’entrée à l’ambiance familiale était silencieux, il n’y avait aucun manteau dans le vestiaire. Eylis essuya ses pieds sur le paillasson et s’avança vers le petit bar.

         Personne.

         Intriguée, la jeune femme revint dans le hall et se dirigea cette fois vers la grande salle de bar située plus loin au fond. A sa gauche dans le large couloir, se trouvait ce qui semblait être une serre.

         « S’il vous plait ? » appela-t-elle de nouveau avant de gagner la grande salle.

         Le comptoir était vide, les tables bien rangées, en son centre s’ouvrait une trémie de plusieurs mètres, cernée d’un garde-corps en fer forgé façon art déco et qui donnait droit dans la cave. Cette salle était immense.

         « Ohé, il y a quelqu’un ? »

         Elle attendit quelques instants sans oser bouger et respirant à peine, puis elle s’approcha de la trémie qui donnait sur la cave, c’était une sorte de patio avec sur le côté des voûtes de pierres spectaculaires. Deux escaliers de verre à quart tournant et dont la structure métallique était assortie aux garde-corps permettaient d’y descendre. Sous chaque marche était disposée une ampoule brute, vert bouteille, ballon dirigé vers le haut, les fils courant librement sous le verre des girons. Le sol en béton poli, était ponctué par endroit de petits spots encastrés diffusant une lueur bleutée.

         « Monsieur Hedera ? » insista Eylis.

         La petite fille blonde qu‘elle avait surprise en entrant, passa en courant dans son dos et la fit sursauter. Le temps qu’elle se retourne l’enfant avait disparu dans la serre. Eylis s’y dirigea.

         La jeune femme était une référence en matière de botanique pourtant elle ne reconnaissait pas la moitié des essences présentes. Sa curiosité était piquée et elle en oublia sa peur, s’enfonçant dans la serre sans trop s’en rendre compte jusqu’à arriver à une porte fenêtre donnant sur un petit jardin au centre duquel se tenait un homme, debout sous la pluie, contemplant les éclairs. La dernière fois qu’elle avait vu Arkhel Kailhann, ses cheveux noués en sept cordes tombaient, jusqu’à sa taille et il refusait de porter autre chose que ses vieilles guenilles Talënes: été comme hiver, il était torse nu, laissant voir les tatouages de sa race et de son rang. Et il ne sortait jamais sans son sabre. Eylis ne l’imaginait pas autrement et pourtant…Désarmé et vêtu comme les gens de la surface, ses cheveux toujours aussi blancs, tombant tout juste sur ses épaules, Arkhel ressemblait plus à un homme avironnant la trentaine qu’à un Talën. Un humain.

         Lassé d’être ainsi observé, il se retourna vers elle sans entrain. Eylis remarqua tout de suite une différence dans son regard, trop humain. Elle savait que les dragons ne changeaient pas, c’est ce qui se disait, pourtant quelque chose avait changé.

         Il y a plusieurs années, lors de leur première rencontre alors qu’elle saluait Khyyl, Arkhel avait failli la découper en deux pensant qu’elle représentait une menace. En réalité, il avait fait ça pour rire mais son sens de l’humour était parfois douteux.

         Aujourd’hui encore, elle en tremblait et un frisson glacé la parcourut quand il se mit lentement à sourire sous la pluie et à avancer vers elle. Arkhel Kailhann souriait rarement disait la rumeur et quand cela arrivait ce n’était jamais de bon augure, aussi recula-t-elle machinalement de quelques pas. Trempé jusqu’aux os, il s’immobilisa juste derrière la porte vitrée. Alors Eylis remarqua la cicatrice, elle partait du bord de son front et longeait sa joue. Elle tressaillit : ce n’était pas une cicatrice mais des écailles très petites et très fines. Arkhel ouvrit la porte, il entra et la dépassa d’un pas. Il se pencha lentement vers elle, inclinant légèrement la tète sur le côté, la fixant de ses yeux de tempête. Ses pupilles étaient bien rondes, il semblait normal mais Eylis tremblait.

         « Petite femme savante, murmura-t-il. Qu’est ce qui t’amène ici ?

         – Je…Je.

         – Est-ce que tu as un problème ou tu as juste envie d’un verre le temps que l’orage passe ? » demanda-t-il.

         Pensant que la jeune femme le suivait, le Talën s’éloigna en direction de l’intérieur laissait de grosses flaques sur son chemin et ébouriffait ses cheveux avec un torchon mais Eylis était pétrifiée. Elle songea soudain qu’il était possible qu’Hedera soit absent et donc qu’elle soit seule avec le dragon. Seule avec la bête.

         Ceux qui avaient eu le funèbre privilège de voir le corps de Khyyl s’étaient fait un plaisir de lui détailler la couleur de sa peau, son corps entièrement vidé de sang, fendu en plusieurs endroits, même à travers les os. La peau arrachée, les intestins à l’air, etc. Eylis eut un haut le cœur qu’elle contint à grande peine. Dehors, il y eut des éclairs et le tonnerre. La pluie doubla d’intensité et, comme dans un mauvais film d’angoisse, des coups secs et violents furent frappés contre une porte.

         « Cameri ! T’as de la visite ! » Brailla Arkhel.

         Le passeur mit un moment pour répondre, Eylis les entendit échanger quelques paroles qu’elle ne comprit pas puis elle entendit Cameri se rapprocher en sifflant mollement un air d’opéra. Elle se ressaisit alors et sortit de la serre mais elle n’avait pas fait trois pas qu’un flash l’aveugla.

         Frottant ses yeux, la jeune femme entendit le bruit d’une vieille pellicule photo qui se rembobinait.

         « Vous vous sentez bien ? » demanda Cameri. 

         Eylis cligna des yeux, sans lui répondre. Le passeur s’adressa alors à son ami Talën en criant : « Ark, qu’est-ce que tu lui as fait ? 

         – Rien du tout, répondit-il stoïque d’une voix étouffée par la distance.

         – Ah vraiment », dit Cameri d’un air suspicieux, s’avançant vers elle doucement.

         Il la trouva chétive, elle devait avoir dans les vingt trois, vingt quatre ans peut-être.

         « Êtes-vous…? Commença-t-elle timidement.

         – Travailles-tu pour l’ambassade ? L’interrompit-il.

         – Comme traductrice pour des conférences rien de plus, balbutia-t-elle.

         – Je hais les ambassades et ce ne serait pas la première fois qu’elles tenteraient d’infiltrer l’Anachron. Tu as de la chance, j’ai passé un bon après-midi, je suis de bonne humeur. En temps normal, je t’aurai mise dehors sans te poser de questions ».

         Il avait braqué ses yeux sur elle et avait un regard au moins aussi perçant que celui du dragon. Il sentait le whisky. Mal à l’aise, Eylis se lança dans un monologue maladroit et nerveux.

         « Je travaille avec Idaline Eiquem qui ne porte pas les S.A.U dans son cœur, elle non plus. Nous voulons juste vous parler. Je n’ai pas d’armes et je vous assure que ...

         – C’est bon, grommela le passeur. Je sais déjà tout ça. Tu n‘es pas vraiment la fille que j‘attendais aujourd‘hui mais c‘est intéressant quand même.»

         Il lui fit signe de le suivre et elle lui emboîta le pas avec quelques réticences jusqu‘à la salle du petit bar près de l‘entrée. Voyant que le dragon était encore là, elle s’immobilisa à deux bons mètres. Le passeur sortit des verres et des bouteilles derrière son comptoir.

         « Moi-même je ne sais pas vraiment pourquoi elle m’envoie ici... » reprit Eylis.

         Cameri ne lui répondit pas, il semblait l’avoir soudain oubliée et regardait quelque chose près d’Arkhel. Eylis, se pencha le plus discrètement possible et aperçut un landau que le dragon balançait doucement avec son pied. Saisissant l’expression d’horreur sur le visage de la nouvelle venue, Arkhel souleva le berceau et l’emporta avec lui dans la mezzanine. Cameri aussi avait remarqué le regard d’Eylis, il ne dit rien et lui tendit un verre de limonade.

         « Merci.

         – Donc, si je résume, tu ne sais pas pour combien de temps tu es ici et tu ne sais pas pourquoi ?

         – Non, je...Je ne suis pas censé être la…première.

         – C’est très curieux, ça », dit Cameri en hochant la tête.

         Eylis se surprit à hocher la tête également, ses yeux papillonnèrent, sa vision se dédoubla quelques instants.

         « Je peux vous expliquer...Je...

         – Un souci ? lança-t-il d’un air moqueur. La tête qui tourne peut-être ?

         – Oui…Comment ? »

         Cameri se redressa et bomba le torse affichant un air fier et satisfait avant de déclarer: « Limonade maison.

         – Mais….

         – Bienvenu à l’Anachron Eylis Mara », chuchota-t-il en passant derrière elle pour amortir galamment sa chute. 

         La jeune femme distingua le visage du passeur au dessus d’elle, calme et souriant, de grands yeux sombres à la couleur insaisissable et puis l’obscurité.

         Soulevant la jeune femme comme une plume Cameri l’emmena deux étages plus haut et la consigna dans une chambre douillette mais conçue comme une geôle.

         Après avoir pris soin de la séparer de tout moyen de communication, il s’assit sur le bord du lit, les coudes sur les genoux et le visage entre ses mains. D’ordinaire, il chassait tout ceux qui, de près ou de loin, s’apparentaient aux Surfaces et Affleurements Unis. Sa haine pour ceux qui avait pris la vie de personnes chères à ses yeux, n’avait d’égale que celle qu’il vouait aux autres passeurs qui n’avaient pas levé leur petit doigt quand ses parents avait imploré leur aide. Cela étant dit, la situation était ambiguë et il ne savait que faire. Il connaissait la position d’Idaline Eiquem et savait qu’elle était menacée, des voyageurs récemment de passage à l’Anachron lui avait parlé d’elle et de l’aide précieuse qu’elle leur avait fournie.

           « Que vais-je faire de vous, Eylis Mara...soupira-t-il.

     

    –   - Eh bien, dit une voix féminine venue de nulle part. Elle est plaisante».

     

     

     

     

     

     

         Cameri était seul, mais il avait une amie pensionnaire à l’Anachron dont les multiples talents comptaient aussi celui de télépathe.

         « Xeelé, où es-tu ?

         – Sur le toit, Il faut que je te parle, réserve moi quelques minutes ce soir.

         – C’est noté. Tu gardes un œil sur elle ?

        – Bien entendu.

        – Merci. »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • PAS DE CONNEXION INTERNET POUR DIX JOURS, ALORS VOILA UN PETIT BOUT DE TEXTE. A TRES VITE !



         Eylis Mara était une jeune femme brune d’environ vingt quatre ans, mince et assez mignonne, le visage couvert de taches de rousseurs. Elle était d’un peuple souterrain qui ressemblait au nôtre. Ni supers pouvoirs, ni capacités physiques hors normes, pas de coutumes étranges ou immorales, un affleurement somme toutes assez banal. ILLUSIONEylis avait eu le privilège d’être initiée un peu à la magie et l’avantage d’être une véritable bibliothèque ambulante. Elle assistait les ambassades dans leurs recherches, voguant d’affleurements en affleurements, collectant des infos, apportant des précisions nécessaires sur le terrain. Son aptitude à toujours tout remettre en question avait attiré l’attention d’Ida qui en avait fait l’un de ses meilleurs agents doubles. Sa nouvelle mission consistait à rejoindre l’Anachron dès que possible, afin de préparer le terrain avec Örj, un soldat de Caram, et définir rapidement si un repli discret était envisageable. Elle ignorait encore que la traque lancée sur Lou O’Meiry avait bousculée les choses.

         Eylis remontait vers la surface par une circulation piétonne. Le plafond était haut, tantôt effondré, tantôt recouvert de plantes diverses trop éparses pour obturer parfaitement le soleil dont quelques rayons étaient parvenus à se frayer un passage. Les murs de pierres sans âge témoignaient du passage de l’homme à différentes époques. Une ancienne mine par-ci, puits asséché ou glacière centenaire par-là, le tout recouvert par endroit d’une croûte de béton épaisse et parfois même de tags du temps où les autorités en surface avaient de faire de ce coin là une station métro. Eylis avait passé les dernières semaines dans un trou à rat avec toute une clique de scientifiques de l’ambassade pour explorer un pseudo site archéologique. Heureusement, Idaline l’avait rappelée et à en croire son message des choses importantes étaient en jeu. Eylis avait hâte de rencontrer Cameri.
         La famille du passeur ayant toujours montré une capacité hors normes à se trouver là où il ne fallait pas, au moment où il ne fallait pas, et à fourrer son nez partout en dépit de la bonne étiquette et de toute prudence, elle s’attendait à un certain remue-ménage. Mais il y avait une ombre au tableau : Arkhel Kailhann. Dragon sans terre ni lois, grand guerrier et fin stratège, créature dangereuse et cruelle aux yeux d’Eylis, se trouvait lui aussi à l’Anachron et elle s’en serait bien passée. Elle l’avait rencontré une fois, un jour où elle servait d’interprète pour une assemblée, Arkhel Kailhann était avec le mage. Il fallait bien un mage aussi taré que l’avait été Khyyl, pour rechercher ainsi la présence d’un dragon, gardien de l’équilibre certes, mais au combien misanthrope. C’est ainsi qu’elle percevait les choses et avait bien noté que le dragon faisait plus que de surveiller les arrières du mage. Il écoutait, comprenait tout ce qui se disait, suivait les conversations avec beaucoup d’intérêt et donnait même son avis si Khyyl le sollicitait.
         Tant qu’il fut au service du mage Arkhel ne quitta pas une seule fois son apparence humaine, beaucoup finirent par se laisser amadouer et oublièrent la bête tapie en lui. Grand mal leur prit car, avait on dit à Eylis, le dragon avait manipulé le mage et ses proches, ses élèves et l’ambassade. Tous. Puis il avait tué Khyyl.

         Pour tout vous dire, ce qui s’était réellement passé le soir de la mort du mage demeurait pour elle comme pour tous, un mystère complet mais les preuves étaient contre Arkhel, pour cela il avait été banni de l’ambassade. Le prix pour sa tète était faramineux et avait de quoi faire saliver plus d’un mercenaire mais pour s‘attaquer à lui il fallait aussi être plus que dément, alors il continuait d’aller et venir librement.

         Eylis arriva dans une zone carrefour où se trouvait une forte concentration de porte affleurement. Fines couches de gelées transparentes et légèrement argentées, il y en avait dans tout les sens, elle en frôla quelques unes avec précaution. La plupart s’étalaient sur des éléments palpables, un mur ou un rocher, mais quelques unes dérivaient en plein milieu du chemin. Parfois selon la luminosité des lieux on pouvait les traverser sans s’en rendre compte et se retrouver par hasard dans un autre zonage, certains peuples n’appréciant guère ce genre d’intrusions mieux valait s’en garder. Bien évidement, il fallait un permis pour pouvoir se déplacer ainsi en sous-sol.

       La jeune femme perdue dans ses pensée esquiva l’un de ces affleurements mobiles de justesse et trébuchant se heurta à un militaire en uniforme sortit de nulle part. C’était l’un de ces soldats si parfait, parfaitement immobile, parfaitement obéissant et silencieux comme la mort. Parfait. Se confondant en excuses, elle nota qu’il n’était pas seul. C’était un détachement d’une quinzaine de soldats, encadrant huit blouses blanches affairées comme des fourmis. Il arrivait que des créatures peu fréquentables se risquent dans les couloirs souterrains mais alors une alarme se déclenchait et une armée de gardes surgissait. Or si elle n’avait pas entendu de sonnerie. Un kaferio traînait peut-être, crevant de faim, mais enlever leur proie en silence n’était pas dans leurs habitudes.

          « Eylis Mara! s’écria soudain un militaire haut gradé. Vous tombez bien votre aide ne sera pas de trop. Est-ce le commandement qui vous envoie ? demanda-t-il en lui faisant signe de le suivre.

         – Non, je reviens d’une autre mission.

         – Si nous l’avions su nous vous aurions escorté ce n’est plus très fréquentable par ici, la zone n’est plus sécurisée.

         – Que craignez vous exactement ?

         – C’est difficile à dire, mais il y a eu plusieurs disparitions inexpliquées.

         – Depuis quand cela dure-t-il?

         – Près d’un mois et la fréquence des disparitions augmente, miss Mara. Vous trouverez le docteur Feirn là-bas, je pense qu’il sera plus qu’enchanté de vous voir.

         Auguste Feirn l’attendait les bras croisés avec un air réprobateur. Eylis se dirigea vers lui en soupirant, elle avait hâte de rencontrer Cameri Hedera mais plus que tout elle souhaitait rejoindre la surface. Auguste Feirn allait sur ses quarante cinq ans mais paraissait plus jeune à cause des ses vêtements et de sa silhouette filiforme. Il avait les cheveux roux et poivre, tombant à peine plus bas que ses épaules dans un enchevêtrement ondulatoire chaotique. Ses joues étaient creuses et le gris de ses yeux, terreux. Ses longs doigts, jaunis par le tabac, courraient à toute allure sur le clavier. C’était un homme un peu mou qui sentait la fumée refroidie et l’eau de Cologne. Il avait eu une femme un jour et aujourd’hui leur divorce le saignait à blanc, détruisait son sommeil et sa santé. Il n’était pas aigri pour autant juste un peu misanthrope. Eylis avait déjà eu l’occasion de travailler avec lui et le tenait en grande estime. Malgré les apparences cela était réciproque.

         – J’hésitais à te porter une tasse de thé, ‘Lis, gronda-t-il.

         – Bonsoir Feirn ou bonjour, je ne sais plus trop.

         – Tu sympathises avec l’ennemi ? lança-t-il en lui mettant sous le nez les derniers relevés dont quelques feuilles s’envolèrent au passage.

         – Auguste, je n’ai pas discuté plus d’une minute, pourquoi es-tu d’aussi mauvaise humeur ?

         – Il y a un problème avec les affleurements mais je suppose qu’IL te l’a dit.

         – J’en ai croisé quelques uns et je n’ai rien remarqué.

         – Oui. Les relevés n’indiquaient aucune variation imprévue. Chaque porte était bien à sa place habituelle et, après vérification, donnait bien sur son propre monde. Pourtant, poursuivit Feirn, l’enregistrement témoigne bien des disparitions. 

         Eylis constata que les soupçons de Feirn étaient fondés, la vidéo montrait des affleurements effectuant des mouvements anormaux, s’étirant comme des tentacules doublant ou triplant soudain de taille puis retournant à leur état primaire avant de recommencer. Encore des gens que je ne pouvais malheureusement pas aider. C’est pesant vous savez...

         Cette instabilité des affleurements était la preuve qu’Ircadès était toujours polluée par le fléau et cela signifiait que nous n’avions plus beaucoup de temps pour agir. Il nous fallait libérer Ircadès ou mourir avec lui. Eylis, aussi intelligente soit-elle, ne pouvait pas comprendre mais elle sentait que cela était très préoccupant.

         « C’est très étrange en effet, concéda-t-elle.

         – Identifiez les victimes, Docteur, ordonna son supérieur militaire qui les avait rejoint et regardait par-dessus l’épaule d’Eylis. Maintenant que Miss Mara et là vous devriez aller plus vite.

         – Vous me demander un miracle. Allez donc faire brûler un cierge vous serviriez à quelque chose.

         – Identifiez-les c’est un ordre. Et faites le ici et maintenant, c’est compris ! »

         Feirn prit son air renfrogné mais obéit, il aurait plus de chance de réussir au calme dans son labo avec tous ses appareils. Mais ça les militaires ne pouvaient pas le comprendre, alors il éplucha l’enregistrement images par images tout en chuchotant à Eylis.

         « Miss Eiquem t’as rappelé n’est-ce pas ? chuchota-t-il. C’est dommage, on aurait bien besoin de toi ici. Es-tu au courant pour O’Meiry?

         – Qu’a-t-il encore fait celui là ?

         – Il vient de passer dans le registre noir.

         – Non ?!

         – Moins fort. Il a réussi à remonter sans qu’on le remarque, il est malin comme un rat.

         – C’est un rat, rétorqua-t-elle sèchement tandis que Feirn tout à sa recherche continuait de donner des ordres à ses laborantins.

         – Ce que tu peux être rancunière.

         – Je ne suis pas rancunière, Feirn.

     –     Tiens, tu vois on obtient toujours les même courbes, elles ne varient pas je pense que le problème ne se trouve pas ici. Nous faisons erreur. »

         Les soldats arpentaient toutes les galeries proches, prêts à agir au moindre mouvement suspect. Le rythme effréné avec lequel le docteur Feirn frappait les touches s’interrompit soudain et il fit signe à Eylis de tendre l’oreille elle aussi. Le silence que cela engendra parvint jusqu’aux oreilles du militaire.

         « Où est Lise ? demanda Feirn.

         – De qui parlez-vous ?

         – Lise Daniel. Une de mes laborantines, je ne l’entends plus. »

         Les laborantins la cherchaient du regard. Feirn, lui, avait toujours les yeux rivés sur son écran, les mains suspendues au-dessus du clavier. Jamais il ne criait, sa voix était très monotone était presque un murmure, malgré cela sa panique était palpable.

         Lise Daniel ne fut pas retrouvée ce jour-là, ni jamais. Une prise vidéo annexe confirma sa disparition, absorbée par un affleurement. Une de moins.

         « Vous vouliez une victime identifiable ? Vous l’avez maintenant ! hurla le docteur en écrasant son portable. Quinze soldats pour huit scientifiques ! C’était pas compliqué non!

         – On remonte, ordonna le commandant.

         – Comment ça on remonte? Il faut chercher Lise! Lise! Lise Daniel!

         – Vous savez pertinemment que nous ne la retrouverons pas, nous rentrons pour analyser tout ça et nous attendrons les ordres, docteur!

         – Eylis ne les laisse pas faire! Dis leur toi! »

         Un coup de seringue dans la nuque le fit taire. Eylis ne fit rien, contre tout ce monde elle était impuissante. Idaline en aurait vent, c’est tout ce qu’elle pouvait faire songea-t-elle tristement en dissimulant un disque qu’elle venait de voler da    ns l’ordinateur.

         « Evitez de traîner dans les affleurements jusqu’à ce que la situation soit sous contrôle Miss, avait lancé un des soldats quelques instants plus tard alors qu’ils arrivaient près de la surface.

         – Vous ne voulez vraiment pas qu’on vous raccompagne à l’ambassade ? lui demanda un autre.

         – Merci, je suis en permission, je vais prendre un bus et me rendre en ville, voir de la famille. »

         Elle avait regardé les camions s’éloigner un instant. Elle n’était pas encore à la surface même si cela y ressemblait, c’était un hall de transition souterrain. Le ciel n’était qu’une illusion de plus tout comme l’horizon qui paraissait si lointain, d’ailleurs les camions disparurent avant de l’avoir atteint, traversant une porte invisible à l’œil nu. Eylis sentait sa haine des S.A.U grandir un peu plus chaque jour mais qu’y pouvait elle ? Elle n’avait pas la force de caractère d’Idaline. Eylis était lasse pourtant il lui fallait marcher encore un bon quart d’heure pour atteindre le quai à partir duquel elle remonterait à la surface. Elle se mit en route sans plus tarder. Sous ses pieds, le sable se parsemait d’herbes de plus en plus drues, preuve qu’elle approchait de la surface véritable. L’air devenait aussi plus léger et plus frais.

         « Vos papiers s’il vous plait, lui demanda d’une voix monocorde un soldat plus tout jeune.

         – Eylis Mara, répondit elle en les lui tendant.

         – Bien, ça m’a l’air en règle tout ça, annonça-t-il tout haut avant de chuchoter discrètement, désolé ‘Lis, le protocole. »

         Perdue dans ses pensées, elle ne répondit pas et prit place sur un des bancs du quai.

         Cet endroit la laissait toujours mélancolique, émergeant à peine du sol le dôme vert pâle de cristal magnétique ressemblait à une bulle coincée dans le bitume. Le cristal magnétique oscillait légèrement suivant les vibrations de son cercueil de béton et pour le voyageur assis dessous donnait au ciel une couleur d’aurore boréale. C’était un spectacle de toute beauté mais dont la seule raison d’être consistait à filtrer les entrées. Ce dôme vert, si le danger se présentait, pouvait se recroqueviller sur lui-même et se faire dur comme du diamant. Il était le dernier rempart contre les intrusions malvenues.

         Si paisible et si dangereux à la fois. Si beau et si cruel. Combien de ses dômes activés par mégarde s’étaient refermés sur d’innocentes victimes. Eylis balançait ses pieds au-dessous du banc essayant de ne pas se laisser gagner par la mauvaise humeur mais c’était peine perdue. Le long, très long banc de bois était jonché de journaux abandonnés arborant, en première page, le visage d’un homme brun aux yeux teinté de rouge et titrant en gros caractères « RECHERCHE O’MEIRY »

         « Recherchons Lou O’Meiry ! scandait la radio d’accueil.

         « Cet homme est dangereux » Ajoutait un panneau lumineux.

         Le concerné était ballotté dans une camionnette avec Seyric et Damia, et il n’était guère de meilleure humeur. Ils avaient eut presque plus de mal à sortir que lui à entrer et ça l’agaçait. Seyric conduisait en silence mais il ne pouvait en être autrement, la jeune Damia parlant pour quatre ou cinq personnes. Elle faisait une véritable fixation sur ce carnet.

          Ils roulèrent deux bonnes heures au moins, le temps d’une bonne migraine, avant que Seyric ne se décide à ralentir. Il ne le fit pas de bonne grâce : un barrage imprévu les attendait. Un gros barrage. La vitre sombre qui séparait le conducteur des passagers, se baissa en silence et laissa apparaître les cheveux blonds de Seyric.

         « Damia. Appelez votre mère nous risquons d’être repérés, demanda-t-il. »

         Lou avait glissé de lassitude dans son fauteuil depuis déjà une bonne heure et ne parvenait plus qu’à grande peine à répondre aux questions de Damia. L’arrêt brutal le tira tout juste de sa torpeur. Avec un calme et un sang-froid qui impressionnèrent le waherlin, la jeune fille activa l’écran, passa en mode sécurisé et fit ce que Seyric lui avait demandé. Lou se leva alors et risqua un œil par la vitre pour constater le problème.

         « Ça va aller, dit Seyric. Il y a un bon quart d’heure de queue, on va devoir se débrouiller avec. Il fait nuit et il commence à pleuvoir, je ne crois pas qu’ils s’intéressent à nous.

       Fauste bois du nord   – Oh, ça va. Je n’ai pas besoin d’être rassuré. J’ai connu pire, rétorqua O’Meiry en prenant appuis contre la paroi. Qu’est-ce qui peut-être pire que de figurer dans le registre noir de l’ambassade, bougonna-t-il.

         – Etre dans le mien ! Lança Fauste. »

         La jeune femme venait de se glisser du toit sur le siège passager et menaçait le conducteur avec une lame. Seyric crut que son cœur allait lâcher. Loukas, lui, sauta sur place en poussant des cris de joie.

         « Lou, qui est-ce ? Que se passe-t-il ?s’inquiéta Damia.

         – T’inquiète pas, prit-il le temps de dire avant de s’adresser à la nouvelle venue. J’aurais dû me douter que tu me laisserais pas dans le pétrin. Enfin tu es revenue!

         – Ne rêve pas trop, waherlin, j’ai mes intérêts dans cette histoire. »

         Fauste tenait toujours Seyric en joue. Celui-ci hésitait entre audace et terreur devant ces yeux vert qui le fixaient jusqu’au plus profond de son être et le paralysait. Lou qui n’arrivait pas à passer la tête entièrement par l’ouverture lui vint en aide.

         « Laisse-le. Il est avec Idaline Eiquem, il m’aide à rejoindre l’Anachron.

         – T’es pas assez grand pour le faire tout seul ? lui répondit-elle en rangeant sa lame comme si de rien n’était.

        – Ils ont mis ma tète à abattre ! Qu’est-ce que j’y peux ?

        – Je suis au courant et d’autres de rejoindront très vite.

         – Que sais-tu à ce sujet ?

         – Rien que tu n’ais besoin de savoir pour l’instant waherlin. » 

         Seyric dévisageait la jeune femme comme s’il voyait une apparition, ses cheveux n’étaient plus tout à fait attachés et tombaient en mèches sur son visage mouillé, des mèches vermeilles. Et ces immenses yeux vert pâle, qui pourtant ne le fixaient plus, le captivaient peut-être encore d’avantage. Il y voyait une lumière irréelle comme celle que l’on surprend parfois dans les yeux d’un chat la nuit.

         « Où as-tu eu ce carnet ? Demanda soudain le waherlïn. Dis-moi que c’est une blague.

         – Je vais faire diversion. Vous laissez la camionnette ici.

         – Mais il pleut ! protesta le waherlïn.

         – Et tu sens le bouc, ça ne te feras pas de mal.

         – La ville est à dix kilomètres au nord, lança Damia qui tentait de voir quelque chose.

         – Une fois qu’ils s’apercevront que la camionnette est vide, ils seront sur nos pas, dit Seyric.

         – Je serai sur les leurs. Tenez-vous prêt. » 

         Agile comme un félin, elle se faufila de nouveau sur le toit et disparut dans la nuit.

         Seyric leur ouvrit la grande porte latérale et leur fit signe de descendre. Une forte lueur aveugla tout le poste. Sautant à terre, ils prirent la direction des bois du Nord. Courrant à toute allure dans les ronces et les taillis glissant, dans la boue et sous la tempête qui s’annonçait, ils confièrent leur fuite à l’ombre des cieux en colère et à l’étrange Fauste.


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  • ILLUSIONLoukas O'Meiry.


    Détails du brachial, machinerie mécanico-organique dont il ne peut se débarrasser.
    Sa fonction est d'assurer un lien permanent entre les actions et les connaissances de Loukas et la banque de données des Surfaces et Affleurements Unis.
    Dans le but de recréer le lien existant entre les waherlïn et l'ancienne cité d'Eïae.


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    PETIT PASSAGE PAR L'ANACHRON, CHEZ CAMERI, PASSEUR MAUDIT . C'EST LE CALME AVANT LA TEMPETE, CAR BIENTÔT L'ANACHRON SERA PRIS D'ASSAULT !
    ATTENTION, L'ENDROIT REGORGE DE SURPRISE ET Y VIVRE PEUT SE REVELER DANGEREUX !

     

     

     

        cameri dans la bibliotheque La géographie du monde avait quelque peu changé depuis deux siècles mais elle restait, en dehors des bouleversements climatiques et politiques, encore relativement reconnaissable.

     

         Le globe avait été re-découpé en plusieurs zones de tailles assez disparates en fonction de la concentration de population et non des frontières. Dans l’hémisphère Nord principalement cerné de désert, ne se trouvait qu’une seule grande zone et dans cette zone regroupant plusieurs cités une seule dépassait tout juste les cent mille habitants : la cité 0125.

         Automobiles et autres véhicules individuels avaient presque totalement disparu de la circulation, on s’y déplaçait en underbus, en train ou en métro. Tous ces réseaux souterrains avaient vidé les rues et les avenues des feux rouges, panneaux de signalisation, marquages au sol, garde-corps et potelets disgracieux en dehors de quelques artères principales où circulaient encore quelques antiquités bruyantes.

     

         La cité faisait face à l’océan et on pouvait voir depuis ses quais, l’ombre de l’île dévastée et de sa tour se découpant à l’horizon. A quelques bâtiments de là, dans un quartier industriel un peu sulfureux mais pas des plus dangereux se dressait le fameux Anachron. Les Aes qui donnait cette couleur cuivrée à la ville, n’avaient pas épargné sa façade de brique qui s’élevait sur trois étages entre deux hangars désaffectés.

         Tandis qu’à l’ambassade Nord, Joseï tentait de convaincre son auditoire du danger que représentait le passeur de l’Anachron, ce dernier se balançait tranquillement chez lui sur un rocking-chair métallique grinçant installé près de la fenêtre principale du rez-de-chaussée au beau milieu de la petite salle de bar encore vide.

         Cameri allait sur ses trente deux ans, de taille moyenne, le teint halé, les cheveux noirs et balayés en arrière, une silhouette avenant et souvent vêtu de sombre, il n’avait rien de bien terrifiant sauf peut-être l’expression de démence qui passait parfois dans ses yeux noirs. Mais ce jour là dans ses yeux qui scrutaient attentivement la rue et la cour intérieure derrière les vitraux qui laissaient entrer des flots de lumière, ne se lisait qu’une profonde déception. Dans un coin, sur une caisse de bois restaurée grossièrement, un vieux gramophone couleur d’or et d’ivoire, jouait presque en sourdine un vieil air de rock psychédélique.

         Le comptoir et les tables zingués avaient été lustrés, une seule table avait été dressée avec une nappe blanche et quelques gâteaux secs, mais tout ça n’était qu’une apparence. Outre les appartements de Cameri situés en face la petite salle de bar, l’Anachron s’étendait sur plus de cinq cent mètres carrés accessibles aux seuls habitués qui s’y trouvaient préservés de l’ambassade et de ses agissements douteux.

         Après l’apparition de la tour et les caprices d’Ircadès, les nouveaux venus égarés de toutes races, espèces et genres confondus y avaient trouvé refuge. L’Anachron était très ancien et s’était intégré à la ville au fur et à mesure de sa construction. Son existence remontait à la nuit des temps.

         Aujourd’hui la passe restait une véritable légende mais le monde s’était pacifié, son utilité avait décliné et Cameri restait le gardien d’un lieu de légende et de mystère qui bientôt serait son tombeau. Pour autant, il n’était pas prêt de capituler devant la malédiction qui le menaçait car il avait une piste, des indices et même un début de solution. Il ne lui manquait plus que les bonnes personnes.

         Comme Joseï, il s’intéressait de près à Fauste et elle était la prochaine sur sa liste. Malheureusement, elle ne lui facilitait pas la tache et restait insaisissable.

         Seulement voilà, elle ne passa pas la porte d’entrée ce jour là comme il l’espérait.

         Il avait la certitude que cette fille faisait partie de la solution qui lui permettrait d’éviter le tragique destin qui l’attendait. Le temps lui était compté et ce nouvel échec le mettait sur les nerfs.

         Comme ses parents et la quasi-totalité de ses ancêtres, il était voué à côtoyer le drame de près. La seule indication que possédait la famille Hedera, en plus de l’histoire de l’Anachron lui-même, était une phrase dont elle avait fait sa devise : « Réunir et lier les égarés ».

         Le père de Cameri avait fait de nombreuses recherches sur la malédiction et la devise de l’Anachron et avait légué à son fils unique de nombreux carnets retraçant ses découvertes.

         Au fil du temps, Cameri était arrivé à la même conclusion que son père, à savoir que « les égarés » désignait en fait les Esprits anciens seuls survivants d’Eïae et il s’était alors mis en tête de s’entourer de personnes susceptibles de l’aider dans sa quête. Hélas, le seul de ces Esprits anciens qu’il avait pu débusquer jusqu’à présent était Arkhel et il était venu de son plein gré.

         Quelques temps avant sa mort, le père de Cameri avait repéré un autre esprit ancien, une femme dont il donnait une description assez précise : regard vert d’eau, pupilles vert sombre, cheveux vermeils, peau irisée. Fauste correspondait à cette description si ce n’est pour la peau, détail que Cameri n’avait pas pu vérifier faute d’avoir pu l’approcher d’assez près. Bien qu’il la jugea trop jeune pour être la femme dont son père avait suivi les traces, il disposait à l’Anachron de grimoires et autres vieux bouquins dans lesquels se trouvaient des textes décrivant exactement de la même façon les descendants des seigneurs d’Elsayaën, enfants d’Ircadès. Il en avait donc conclu que Fauste en faisait forcement partie et donc était un Esprit ancien, dommage que la convaincre de se joindre à l’Anachron ne soit finalement pas à l’ordre du jour. Cameri avait pourtant tout essayé y compris faire jouer son vaste réseau de connaissances, c’est ainsi que l’un de ses informateurs lui avait assuré connaître un moyen de la contacter - moyennant quelques billets - Cameri avait tenté le coup et attendait ce jour même une visite de la jeune femme.

          Quelque part dans l’Anachron, troublant cette fin de journée paisible, un bébé pleurait. Cameri laissa le vieux reflex pendouiller lourdement sur sa poitrine et arrêta de se balancer. Il se leva en soupirant bruyamment et se dirigea vers le comptoir, boitant légèrement et se déplaçant avec une certaine lourdeur, le passeur laissait sur son passage une odeur d’after-shave à deux sous.

         L’air embaumait, la cannelle, la cire d’abeilles, le musc et l’alcool doux. Un peu partout sur les murs, tout étage confondu, s’étalaient les clichés du patron, rarement encadrés, tout juste collés ou simplement punaisés. Mais malgré tous les efforts de Cameri, il flottait encore quelque chose de sombre, mystérieux et un peu glauque dans l’atmosphère.

         Le gramophone crépitait dans le vide, le tic-tac du balancier d’une grosse horloge art nouveau emplissait l'air tandis que le plancher craquait sous ses pas irréguliers du passeur. Cameri eut juste le temps de se servir un verre avant les pleurs lointains de l’enfant ne redoublèrent d’intensité. Il reposa sa coupe sur le comptoir, le regard vague. L’enfant, un petit garçon tout juste né et nu comme un ver avait été abandonné sur le pas de sa porte il y a trois mois et sa mère demeurait introuvable malgré les recherches que le passeur avait entreprises. Arkhel avait insisté pour ne pas lui donner de nom mais le passeur maudit avait fini par le baptiser Gabriel. Résigné à ne jamais avoir ni femme, ni enfant dans l’espoir vain que la malédiction s’arrête avec lui, il niait farouchement s’être attaché au bébé mais en vérité, à peine l’avait-il découvert sur le seuil de l’Anachron et l’avait il pris dans ses bras qu’un lien profond s’était crée entre eux.

         Cameri attendit un peu espérant que Gabriel se calme de lui-même, mais il n’était pas le seul enfant de la passe à gérer, discrètement une fillette de six ans environs sortit d’une pièce voisine. Elle avait de longs cheveux blonds tressés et de jolis yeux sombres, elle s’appelait Hediy. Son père, un magicien vivait également à l’Anachron mais disparaissait régulièrement plusieurs semaines. Sous les yeux de Cameri, Hediy traversa la pièce sur la pointe des pieds en retenant un rire, ses cheveux et sa robe pleins de farine. Le passeur grommela quelque chose et leva les yeux au ciel avant de se resservir un verre.

         De mauvais poils et frustré, Cameri prit la décision de ne pas ouvrir le bar. Il quitta le comptoir de la petite salle pour se rendre à la cuisine située juste derrière et constata les dégâts qu’Hediy avait causés : de la farine et de la pâte du sol au plafond et un moule débordant dans le four. Le passeur arreta le programme de cuisson automatique puis s’occupa de charger un plateau avec le nécessaire pour Gabriel: biberon, lait, etc.

         En repassant par la petite salle de bar, il prit une bonne bouteille de vieux whisky pour lui et les bras chargés, gagna ses appartements.

         Cameri traversa son salon et se rendit directement à la bibliothèque mitoyenne de sa chambre et de celle de Gabriel. Le bébé pleurait toujours, Cameri posa son plateau sur un guéridon et boita jusqu’au berceau. Dès qu’il l’entendit arriver Gabriel se tut et se mit à gazouiller, ses cheveux bruns déjà long pour son âge et ses grands yeux bleus lui donnai un air désarmant qui chassa vite la mauvaise humeur de Cameri. Le passeur le prit volontiers dans ses bras et l’emmena jusqu’à la bibliothèque où il s’installa avec lui dans un grand fauteuil.

         Gabriel vida son biberon d’un trait, Cameri ne s’était jamais occupé d’enfant avant lui mais il s’en sortait très bien. Ce qu’il gérait avec moins de brio c’était sa propre situation.

         Une fois l’enfant rassasié, Cameri le cala sur l’un de ses bras et entreprit de se servir un verre de sa main libremais un frisson glacé l’arrêta. Suspendant son geste, il attendit, puis soudainement un livre se délogea de la bibliothèque et traversa la pièce pour atterrir à ses pieds.

         « Ok, soupira Cameri. Voyons voir... « La Tour » ? Je l’ai déjà lu celui-là », se moqua-t-il.

         Le livre s’ouvrit sans même qu’il l’ait touché et s’arrêta sur la dédicace de l’auteur.

         « « A Iselaure et tous les autres disparus... « ».

         Cameri termina de se servir et bu une grande gorgée avant de chasser le livre du pied.

         « Pour une fois ce serait bien que vos coups de pouce, cher ami invisible, me concerne moi. Que voulez-vous que je fasse pour l’expédition perdue ? Ils sont entrés dans la tour les premiers et ils y sont restés c’est malheureux mais c’est ainsi. Où qu’ils soient ça fait deux siècles et ils... »

         Quelque chose frappa deux grands coups et une dizaine de livres se mirent à traverser la pièce.

         « Eh, au cas ou vous n’auriez pas remarqué, il y a un bébé ici ! », protesta le passeur.

         Le phénomène cessa, seul un carnet atterrit au pied du passeur qui ne prit pas la peine de le lire et se servit un second verre.

         « Levez-moi cette malédiction, ensuite je sauverai qui vous voulez », grommela-t-il.

     

     


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